Hypoglycémie

Texte

 

ITEM 240 Hypoglycémie chez l'adulte et l'enfant

  • Diagnostiquer une hypoglycémie.
  • Identifier les situations d'urgence et planifier leur prise en charge.

 

Avant de commencer…

Un malaise, des troubles neurologiques (convulsions, hallucinations…) ou des signes adrénergiques aigus (pâleur, palpitations) peuvent conduire à suspecter le diagnostic d'hypoglycémie.
Le diagnostic est urgent, en particulier chez le nouveau-né et le nourrisson, puisque tout retard au traitement peut mettre en jeu le pronostic (avant tout neurologique).
Une enquête étiologique minutieuse doit être ainsi réalisée, certaines causes exposant à un risque vital, tels que l'insuffisance surrénale et le déficit de la β-oxydation des acides gras.
Les causes d'hypoglycémies sont extrêmement variées (fonctionnelles, médicamenteuses, endocriniennes, toxiques, infectieuses, génétiques, paranéoplasiques, auto-immunes) et diffèrent selon l'âge. Des données simples anamnestiques (jeûne court/long, contexte), cliniques (hépatomégalie, défaillance d'organe associée) et biologiques (glycémie, lactacidémie, cétonurie, hormonologie, acylcarnitines) permettent de conduire à un diagnostic dans la majorité des cas.

 

I. Pour bien comprendre

A. Généralités

L'hypoglycémie se définit par un chiffre de glycémie < 0,50 g/l [2,8 mmol/l].

Trois cas particuliers ont des définitions d'hypoglycémie différentes :

  • < 0,70 g/l [3,9 mmol/l] chez le diabétique ;
  • < 0,60 g/l [3,3 mmol/l] chez le sujet ayant une maladie à risque d'hypoglycémie déjà diagnostiquée autre que le diabète (hyperinsulisme, glycogénose…) ;
  • < 0,40 g/l [2,2 mmol/l] chez le nouveau-né avant 48 heures de vie.

La démarche étiologique diffère selon l'âge.

Chez l'enfant, l'hypoglycémie fonctionnelle prédomine, mais les maladies génétiques ou hormonales sont fréquentes et potentiellement sévères.
Chez l'adulte, les causes les plus habituelles sont l'alcool, les médicaments, les déficits hormonaux ; mais il faut évoquer aussi l'insulinome et les causes auto-immunes.

 

B. Rappels de physiopathologie

L'homéostasie glycémique se définit par un équilibre entre :

  • des facteurs hyperglycémiants : les apports alimentaires, les hormones hyperglycémiantes (GH, glucagon, cortisol, catécholamines), le degré de résistance périphérique à l'insuline, l'efficacité des mécanismes hépatiques de production du glucose (glycogénolyse et néoglucogenèse) ;
  • des facteurs hypoglycémiants : l'insuline, la consommation tissulaire en glucose (cerveau et reins avant tout). Toute cause de dysfonctionnement de cet équilibre peut conduire à une hypoglycémie.
Hypoglycémie (hors cas particuliers) : glycémie < 0,50 g/l [2,8 mmol/l].

 

II. Diagnostiquer une hypoglycémie et planifier la prise en charge

A. Identifier une hypoglycémie

Une hypoglycémie peut se manifester par deux types de symptômes :

  • des signes neuroglucopéniques : fringale, signes neurologiques variés tels que convulsions, hallucination, trouble d'élocution, trouble visuel, trouble de concentration, signes pyramidaux, dysesthésie, fatigue inhabituelle, malaise, somnolence, coma, hypothermie… ;
  • des signes adrénergiques : pâleur, sueurs et tachycardie, parfois tremblements (reflétant une augmentation de la sécrétion de catécholamines en réponse à l'hypoglycémie).

La triade de Whipple permet le diagnostic d'hypoglycémie ; elle associe :

  • des signes neuroglucopéniques ;
  • une glycémie < 0,50 g/l (ou < 0,70 g/l chez le diabétique) ;
  • une correction des symptômes après normalisation de la glycémie.

 

B. Mesures urgentes

Le coma ou les convulsions liées à une hypoglycémie traduisent une souffrance cérébrale. En cas d'hypoglycémie profonde durable, en particulier si l'hypoglycémie est sans cétose, et avant tout en période néonatale, le risque de séquelles cérébrales est élevé. L'enfant doit donc recevoir immédiatement un traitement visant à normaliser sa glycémie.

Enfant inconscient :

  • bolus de glucosé IV (à répéter toutes les 5 minutes jusqu'à normalisation de la glycémie) :
    • chez le nouveau-né et le nourrisson : sérum G10 % 2 ml/kg ;
    • chez l'enfant : sérum G30 % 10 ml/20 kg de poids ou G10 % 30 ml/20 kg de poids ;
    • chez l'adolescent et l'adulte : sérum G30 % 20 à 30 ml ;
  • glucagon IM ou SC à envisager si voie d'abord impossible, avec enfant en PLS (attention : efficace uniquement si la cause est liée à l'insuline ; diabète connu : mesure de 1re intention au domicile par la famille) ;
  • bilan sanguin après resucrage, mais au plus près de l'hypoglycémie (identique au prélèvement percritique, sauf que insuline et peptide C ne seront pas interprétables).

Enfant conscient :

  • bilan sanguin percritique (voir infra) avant resucrage ;
  • glucose par voie orale (et/ou IV) :
    • chez le nouveau-né et le nourrisson : sérum G10 % 2 ml/kg ;
    • chez l'enfant : sucre 5 g/20 kg de poids chez l'enfant ;
    • chez l'adolescent (et adulte) : 15 g de sucre.

1 sucre en morceau = 5 g de sucre = 50 ml de jus d'orange ou de pomme = 50 ml de Cola = 50 ml de sérum glucosé G10 %.

Assurer des apports en glucides après une hypoglycémie est indispensable pour éviter une récidive immédiate d'hypoglycémie. Selon l'état du patient, il faut proposer : un repas enrichi en sucres lents ou une perfusion de sérum glucosé à 10 %, en relais du resucrage aigu.

Une glycémie capillaire doit être pratiquée en urgence devant tout signe évocateur d'hypoglycémie et, plus généralement, devant tout trouble neurologique brutal et inexpliqué.
La correction d'une hypoglycémie constitue une urgence thérapeutique.
L'enquête paraclinique doit être faite au plus proche de l'hypoglycémie, idéalement avant resucrage sauf si urgence vitale ou enfant inconscient.

 

C. Enquête étiologique

1. Enquête clinique minutieuse

Les circonstances de survenue doivent être recueillies :

  • âge de l'enfant ;
  • contexte particulier (antécédent de chirurgie gastroduodénale, traitement médicamenteux…) ;
  • survenue de l'hypoglycémie au jeûne court ou long, épisode unique ou récidive.

L'anamnèse doit écarter les situations pathologiques sévères conduisant de manière non spécifique à une hypoglycémie, résultant :

  • d'une carence en glycogène ou en substrat pour la néoglucogenèse : dénutrition sévère, insuffisance hépatique profonde aiguë ou chronique ;
  • d'une augmentation de la consommation de glucose : certaines tumeurs, septicémie ;
  • d'une fuite urinaire de glucose : tubulopathie ;
  • ou encore d'une intoxication alcoolique ou la prise de médicaments (par exemple, insuline, sulfamides, glinides, quinine, bêtabloquants).

L'examen clinique doit être complet, au premier rang duquel un examen neurologique rigoureux ainsi que la recherche d'une hépatomégalie (parfois molle et très volumineuse, donc trompeuse).

 

2. Enquête paraclinique

Bilan de première intention

Toute hypoglycémie doit être authentifiée par une glycémie veineuse ; cette confirmation ne devant pas retarder la prise en charge thérapeutique.
L'enquête paraclinique est systématique et prélevée avant resucrage, en dehors d'une situation d'urgence vitale et/ou d'enfant inconscient.

Le diagnostic d'hypoglycémie fonctionnelle (= hypoglycémie hypercétotique idiopathique) est fréquent, bénin, et survenant pour des jeûnes très prolongés chez des enfants de moins de 10 ans. Cependant, ce diagnostic ne peut être posé que par exclusion des autres causes.
L'hypoglycémie fonctionnelle associe habituellement :

  • jeûne très prolongé ;
  • hypoglycémie peu profonde (> 0,40 g/l) ;
  • hypoglycémie peu symptomatique ;
  • forte cétose ;
  • en l'absence d'élément compatible avec une maladie hypoglycémiante sous-jacente.

Patient conscient = bilan sanguin percritique au moment même de l'hypoglycémie :

  • glycémie veineuse sur tube avec inhibiteur de la glucosidase ;
  • insuline, peptide C (uniquement interprétables en hypoglycémie) ;
  • GH, cortisol, ACTH ;
  • lactate ;
  • ionogramme sanguin, réserve alcaline ;
  • cétonémie ;
  • profil des acylcarnitines plasmatiques (et idéalement 3OH-butyrate et acides gras libres) ;
  • recueil de la première miction suivant l'hypoglycémie : cétonurie à la bandelette, chromatographie des acides organiques.

Si le bilan percritique n'a pas été réalisé, en cas de probable hypoglycémie fonctionnelle, deux pathologies doivent être tout de même systématiquement écartées (en raison du risque de séquelle en l'absence de traitement) par :

  • dosage le matin à jeun de la cortisolémie et de l'ACTH plasmatique : insuffisance surrénale ;
  • dosage du profil des acylcarnitines plasmatiques : déficits de la β-oxydation des acides gras.

Patient inconscient = bilan sanguin au plus près de l'hypoglycémie :

  • identique au prélèvement percritique précité ;
  • sauf que insuline et peptide C ne seront pas interprétables.
Bilan de deuxième intention

Certaines hypoglycémies sont suspectes de maladies sous-jacentes et nécessitent de garder l'enfant en hospitalisation avec un avis spécialisé pour poursuivre des explorations adaptées à l'histoire clinique et aux résultats du bilan percritique.

Ces hypoglycémies sont considérées comme suspectes quand elles sont :

  • inattendues : hypoglycémies pour un jeûne pas assez long pour l'âge (< 6 heures à la naissance, < 12 heures à 1– 5 ans, < 24 heures à 5–10 ans ; après 10 ans, il ne devrait plus y avoir d'hypoglycémie de jeûne) ;
  • ou inappropriées : hypoglycémies très symptomatiques ou très profondes ; insuffisance voire absence de cétose ;
  • ou accompagnées de signes associés : hépatomégalie, défaillance d'organe aiguë ou chronique, acidose sévère avec pH < 7,10, mélanodermie, croissance pondérale ou staturale anormale…

 

3. Orientation diagnostique (fig. 8.1)

L'enquête clinique permet souvent d'avoir une orientation diagnostique éclairée.
Souvent, la cause de l'hypoglycémie sera évidente par l'anamnèse et le contexte : cause médicamenteuse (diabétique, etc.), dénutrition…

Parfois des anomalies à l'examen clinique orientent le diagnostic ; par exemple :

  • une hépatomégalie molle et volumineuse oriente vers une glycogénose ;
  • une anomalie de la ligne médiane (malformation cranio-faciale impliquant le nez et/ou l'arcade dentaire, ainsi que les structures cérébrales médianes) suggère un panhypopituitarisme ;
  • une mélanodermie fait évoquer une insuffisance surrénale primaire.

Cependant, des situations pathologiques sévères conduisant de manière non spécifique à une hypoglycémie doivent être identifiées (voir supra). Une défaillance multiviscérale oriente vers une insuffisance surrénale ou un déficit de la β-oxydation des acides gras.

Image
Fig. 8.1. Arbre diagnostique devant une hypoglycémie chez l'enfant (hors nouveau-né, diabète connu et cas particuliers – voir le texte).

(D'après : Arnoux J.-B. Pas à pas en pédiatrie. Arbres décisionnels commentés des Sociétés de pédiatrie. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.) 

 

Hypoglycémies au jeûne court

Les hypoglycémies au jeûne court ou à l'état nourri doivent particulièrement évoquer un mécanisme lié à l'insuline (forme génétique d'hyperinsulinisme ou fonctionnelle après chirurgie œsogastrique ou duodénale, ou un insulinome), ou bien une glycogénose, ou une intoxication alcoolique ou médicamenteuse, ou un panhypopituitarisme avec déficit en GH et cortisol chez un nouveau-né ou un nourrisson (chez les enfants plus âgés, le panhypopituitarisme provoque des hypoglycémies de jeûne long).

Une réponse exagérée au test au glucagon (augmentation de glycémie > 0,30 g/l dans les 30 minutes après l'injection d'1 mg de glucagon en hypoglycémie) oriente principalement vers un mécanisme d'hypoglycémie impliquant l'insuline.

Hypoglycémies au jeûne long

Les hypoglycémies au jeûne long peuvent révéler un déficit hormonal, un défaut de la néoglucogenèse ou un déficit de la β-oxydation des acides gras.

Une cétose doit toujours être recherchée : l'absence de cétose au jeûne long est anormale et oriente vers un déficit de la β-oxydation des acides gras ; les déficits de la néoglucogenèse s'accompagnent d'une forte cétose.
La présence d'une hyperlactatémie au moment de l'hypoglycémie signe un dysfonctionnement de la néoglucogenèse primitif (par exemple, déficit en fructose 1,6-biphosphatase) ou secondaire (par exemple, glycogénose de type 1 ou déficit de la β-oxydation des acides gras).
Le diagnostic peut également être orienté par la quantité de glucose nécessaire pour corriger l'hypoglycémie : si la correction de l'hypoglycémie nécessite des apports supraphysiologiques en glucose, le mécanisme en cause implique obligatoirement l'excès d'un facteur hypoglycémiant tel que l'insuline.

Éléments d'orientation : jeûne court/long, défaillance d'organe associée, hépatomégalie, cétose, hyperlactatémie.

 

Références

Cryer P.E., Axelrod L., Grossman A.B., et al. Evaluation and management of adult hypoglycemic disorders: An Endocrine Society Clinical Practice Guideline. J Clin Endocrinol Metab, 2009;94:709–28.

Arnoux J.-B. Hypoglycémie de l’enfant (hors nouveau-né et diabètes). Pas à pas en pédiatrie. Arbres décisionnels commentés des Sociétés de pédiatrie, 2019.  https://pap-pediatrie.fr/files/09_hypoglycemie_de_lenfant_hors_nouveau-ne_et_diabetes.pdf