CHAPITRE 11 - Item 137 Douleur chez l’enfant : évaluation et traitement antalgiques

Objectifs pédagogiques

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  • Savoir évaluer la douleur de l’enfant par les outils d’évaluation adaptés.
  • Repérer, prévenir, et traiter les manifestations douloureuses pouvant accompagner les pathologies de l’enfant.
  • Connaître les médicaments utilisables chez l’enfant selon l’âge, avec les modes d’administration, indications et contre-indications.
  • Connaître les moyens non médicamenteux utilisables chez l’enfant.
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Avant de commencer…


L’enfant ressent la douleur différemment de l’adulte ; car plus il est jeune, moins il comprend ce qui lui arrive et plus il est dépourvu de moyens pour s’en défendre. Connaître le développement cognitif et émotionnel ainsi que les besoins affectifs d’attachement et de sécurité de l’enfant en fonction de son âge aide le soignant à mieux le comprendre et communiquer avec lui, donc à mieux le soigner. Douleur et peur sont toujours associées, l’une aggravant l’autre, et elles sont à prendre en compte simultanément.
Les manifestations comportementales de la douleur évoluent dans la durée. Quand la douleur est ré-cente, aiguë, violente et brève, ces manifestations sont bruyantes ; mais si la douleur se prolonge, s’installe, elles font place en quelques heures à un tableau trompeur de repli nommé atonie psychomotrice.
La douleur liée à une maladie ou une chirurgie est à distinguer des douleurs chroniques où les facteurs psycho-sociaux sont importants.

L’entrée en relation rassurante et empathique, puis l’évaluation de la douleur sont les premières étapes de la prise en charge. La collaboration avec les parents est essentielle.
Les outils d’évaluation permettent de limiter la subjectivité du soignant et de fournir un score numérique d’intensité douloureuse, indispensable pour le choix thérapeutique et le suivi.
Chez les plus jeunes enfants et chez ceux avec difficultés de communication, seule une hétéroévaluation par l’observateur parent ou soignant est possible, fondée sur des échelles comportementales, à choisir en fonction de l’âge et du contexte. À partir de 4 ou 5 ans, une autoévaluation peut être proposée ; elle devient de plus en plus fiable après 6 ans.

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Les principes de prise en charge thérapeutique sont proches de ceux de l’adulte, combinant antalgiques et moyens physiques, psychologiques et psychocorporels. De nombreuses molécules n’ont cependant pas l’AMM en pédiatrie. La prévention des douleurs induites par les soins est essentielle.
Les traitements non médicamenteux constituent des moyens efficaces autant dans la prise en charge de la douleur aiguë que dans celle des douleurs chroniques de l’enfant.

I. Pour bien comprendre

A. Définition et composantes de la douleur

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La douleur est « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle » (définition officielle de l’IASP, International Association for the Study of Pain). Émotions et sensations sont toujours associées dans la perception de la douleur. Le terme « ressemblant à » évoque la situation des enfants in-capables de s’exprimer verbalement.

Les systèmes neurophysiologiques de perception de la douleur se mettent en place principalement durant les 2 premiers trimestres de la grossesse. Le nouveau-né même prématuré est donc équipé pour percevoir la douleur. En revanche, les systèmes inhibiteurs ou modulateurs maturent lentement pendant les premières années ; les nouveau-nés, prématurés ou à terme, les nourrissons sont plus vulnérables : ils perçoivent la douleur sans capacité de s’en défendre.

On distingue 4 composantes correspondant à des régions cérébrales fonctionnant en réseau :

  • composante senso-ridiscriminative : localisation, intensité, caractéristiques du ressenti ; communiquée avant tout par le langage (« ça tape, ça tord, ça pèse », etc.) ; l’aspect sensoriel de la perception est souvent mal exprimé par les jeunes enfants ;
  • composante cognitive : compréhension, raisonnement, analyse, interprétation, prévision (causes, conséquences, moyens de soulagement, durée prévisible, bénignité ou gravité…) ; le jeune enfant ne comprend pas ce qui se passe, l’aspect rationnel de la perception lui fait dé-faut ;
  • composante affectivo-émotionnelle : peur (variant selon l’âge de l’enfant, le contexte de la maladie ou du traumatisme ou du soin, l’incertitude quant à son évolution, l’attitude de l’entourage), mais aussi colère, culpabilité, agressivité, panique, tristesse ; ces fortes émotions sont très bien exprimées par un biais non verbal (expression, comportement) ;
  • composante comportementale : l’expression visible de la douleur varie selon les expériences antérieures, l’attitude familiale et soignante, le milieu culturel, les standards sociaux liés à l’âge et au sexe. En grandissant, l’enfant adopte le comportement de douleur de son groupe familial et apprend à contrôler son expression, voire à masquer son ressenti.

Sans moyen cognitif pour s’en défendre, envahis par la sensation, le bébé ou le jeune enfant ressentent et expriment la douleur (à stimulus égal) plus fortement que le grand enfant ou l’adulte. 
L’influence de la mémorisation d’événements douloureux antérieurs sur le ressenti et l’expression de la douleur est majeure : la douleur passée augmente la douleur suivante. Des facteurs culturels, des aspects spirituels influencent aussi la perception. 
Le facteur temps (modes aigu, prolongé, récurrent ou chronique) modifie l’expérience. 

B. Perception de la douleur chez l’enfant et ressources des soignants en fonction de l’âge

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Que pense l’enfant de la douleur ? La pensée et la perception enfantines évoluent selon le développement cognitif et l’évolution affective (tableau 11.1).   
« Ici et maintenant » caractérise le vécu du jeune enfant. Ses questions sont simples : « Qu’est-ce qu’on va me faire ? Est-ce que je vais avoir mal ? Est-ce que j’aurai des piqûres ? Est-ce que mes parents seront là ? »


Tableau 11.1. Perception de la douleur et ressources des soignants en fonction de l’âge de développement.   
 

Étapes du développement Caractéristiques Proposition de ressources pour les soignants
0–2 ans : nouveau-né et nourrisson Ressenti dominé par les perceptions sensorielles Réponses à la douleur majeures même pour un stimulus faible, détresse envahissante bruyante (cris et mouvements des 4 membres) puis silencieuse (repli) Respecter les rythmes, organiser les soins en fonction Favoriser la présence et le rôle des parents Contenir, rassurer (portage, paroles, musique, cocon)
2– 4 ans : petit enfant Vit dans l’instant présent Distingue mal monde imaginaire et monde réel Fait peu le lien entre traitement et soulagement Associe méchanceté et douleur Émotions envahissantes : protestation énergique, opposition bruyante, puis abattement et prostration Informer avec des mots simples ou par le jeu Favoriser la présence permanente des parents Rassurer (paroles, musique) Distraire et faire accéder au monde imaginaire
5–11 ans : grand enfant Devient capable d’analyser causes et conséquences, raisonne Devient capable d’adhérer aux soins Peurs et phobies fréquentes Expliquer, informer sans mentir ni dramatiser Développer avec les parents les moyens de participer, de faire face (coping, courage) Distraire et/ou accompagner par l’hypnose
À partir de 12 ans : adolescent Capacité à comprendre la maladie et la douleur Vulnérabilité de l’adolescence Possibilité de phases d’opposition voire de révolte et/ou phases dépressives et de perte de confiance Informer clairement, négocier souvent pour obtenir alliance et compliance au traitement proposé (contrat de soins parfois) Favoriser l’autonomie (tout en maintenant la place des parents) et la présence des amis Proposer des moyens non pharmacologiques Importance des écrans (intérêt pour le maintien du lien, coping)

C. Mécanismes des douleurs

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La douleur par excès de nociception est le mécanisme le plus fréquent. Elle résulte d’une lé-sion tissulaire mécanique (fracture, distension, compression, effraction), thermique (brûlure), inflammatoire (infection, rhumatisme), ischémique (rarement), douleur viscérale (distension, inflammation), avec souvent des signes digestifs.
Elle se traduit par une douleur superficielle ou profonde, avec souvent des irradiations, de type inflammatoire ou mécanique.

La douleur neuropathique est liée à un dysfonctionnement ou une lésion du système nerveux somato-sensoriel, périphérique ou central.
Les causes sont variées : compression (tumeur), blessure nerveuse ou du SNC (amputation, traumatisme, chirurgie), inflammation (polyradiculonévrite), infection (zona), hypoxie (cérébrolésé), dégénérescence (maladie neurologique)…
Elle provoque des douleurs dans un territoire systématisé, avec sensations de brûlure, paresthésies très désagréables, fulgurances de type décharges électriques, troubles de la sensibilité à re-chercher : allodynie (ressenti douloureux d’un toucher habituellement non algogène), hyperpathie (persistance de la sensation après l’arrêt du stimulus), avec souvent un déficit sensitif (hy-poesthésie, voire anesthésie de la zone douloureuse).
Elle est difficilement décrite par le jeune enfant et souvent mal interprétée (la douleur au simple effleurement de l’allodynie pourra faire suspecter à tort une exagération ou théâtralisation).
Elle est à rechercher systématiquement en cas de lésion du système nerveux probable.
Il peut y avoir la participation du système nerveux sympathique (cf. syndrome douloureux régional complexe, ou algodystrophie), avec des sensations de douleurs profondes et des manifestations vasomotrices : vasodilatation (œdème, rougeur, chaleur, sueurs) pouvant alterner avec vasoconstriction (froideur, marbrures violacées).

La douleur fonctionnelle, ou primaire (dite aussi idiopathique, sine materia ou psychogène ou trouble somatomorphe ou somatoforme ou psychosomatique…) est médicalement inexpliquée : l’enquête clinique et paraclinique est normale ; on parle aussi de syndrome d’amplification (par exemple, douleur persistant des semaines ou des mois après une entorse, après une chirurgie).
Le terme de douleur nociplastique a été choisi récemment pour nommer ces douleurs où l’on re-trouve un abaissement du seuil de douleur, une sensibilisation du système nerveux et un dysfonctionnement des systèmes inhibiteurs descendants.

Plusieurs mécanismes sont souvent associés, par exemple :

  • douleur mixte nociceptive et neuropathique en oncologie, en traumatologie, en postopératoire, en cas de polyhandicap… ;
  • douleur nociceptive comme une douleur postopératoire aggravée par des facteurs psychosociaux, émotionnels comme l’anxiété ou une situation familiale conflictuelle.
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Connaître le mécanisme de la douleur permet d’adapter la prise en charge thérapeutique.

D. Facteur temps : douleurs aiguës, prolongées, récurrentes, chroniques

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La douleur aiguë joue le rôle de signal d’alarme d’une pathologie récente.
Ses manifestations sont habituellement parlantes, avec des cris, des plaintes et des pleurs, et de l’agitation chez le très jeune enfant. Certains facteurs peuvent majorer le vécu de la douleur, notamment l’état émotionnel de l’enfant (angoisse, colère, phobie), le contexte familial, les expériences antérieures.
Quand la douleur se poursuit ensuite, après un court délai (quelques heures voire moins), l’enfant devient immobile, puis moins réactif, lointain, comme triste, apathique, prostré : c’est l’atonie ou inertie psychomotrice, plus ou moins intense, d’un retrait minime à la prostration majeure. L’attention doit être attirée par ces enfants « trop calmes » dont la douleur peut être méconnue. Cette douleur installée est à distinguer de la douleur chronique.
La plupart des douleurs rencontrées en pédiatrie courante évoluent selon ce schéma biphasique de manifestations comportementales successives et nécessitent des antalgiques.

Les douleurs récurrentes sont assez fréquentes : accès répétés de douleur aiguë, avec parfois des douleurs intercritiques plus ou moins prolongées ou chroniques ; par exemple : douleurs abdominales récurrentes, crises vaso-occlusives des enfants drépanocytaires, accès de migraine.

La douleur chronique a des critères précis : douleur survenant plus de 15 jours par mois plus de 3 mois, mais peut aussi être reconnue dès que sa durée dépasse l’évolution attendue (par exemple, en postopératoire).
Des facteurs psychologiques sont susceptibles d’intervenir dans l’aggravation, le maintien ou la genèse de ces douleurs chroniques (événements de vie ou changements dans l’environnement de l’enfant, soucis familiaux, émotions de type anxiodépressives)


Il s’agit :

  • soit (le plus souvent) de douleurs sans cause reconnue (ou suivant un événement somatique mineur et disparu) : céphalées chroniques, douleurs musculo-squelettiques chroniques localisées ou diffuses (lombalgies, syndrome douloureux régional complexe, douleurs plus ou moins généralisées), douleurs abdominales récurrentes ;
  • soit de douleurs liées à une maladie somatique chronique (handicap, cancer, drépanocytose, hémophilie, rhumatisme, mucoviscidose…), souvent aggravées ou amplifiées par les facteurs psycho-sociaux.


La description de la douleur est variable, riche ou au contraire pauvre, vague, et variant dans le temps ; l’intensité est souvent décrite élevée, alors que le comportement de douleur n’est pas flagrant ; l’impact fonctionnel peut être majeur (limitation des activités, déscolarisation).
La prise en charge est différente de celle des douleurs aiguës, très orientée vers la situation psycho-sociale avec des méthodes non pharmacologiques.

II. Prise en charge de l’enfant douloureux

A. Repérer les manifestations douloureuses

1. Abord et examen de l’enfant

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Aborder un enfant douloureux demande patience et attention, en tenant compte de ses besoins affectifs de sécurité (bras des parents ou leur présence, doudou). Établir une relation thérapeutique de qualité avec l’enfant et sa famille dès le début de la prise en charge nécessite de prendre un peu de temps, d’écouter et d’observer, avec empathie.

On peut proposer un jouet pour entrer en relation de façon plus ludique avec les plus jeunes.
Plus l’enfant est jeune, plus la présence et la collaboration des parents est indispensable pour le rassurer. Si l’enfant crie ou est agité, il convient de garder d’abord une distance, s’asseoir et échanger avec les parents, se mettre à sa hauteur, lui parler de loin, puis susciter sa curiosité et son attention avec un objet attrayant. Proscrire la contrainte ou la contention qui aggraveront la détresse.

Le soignant fait préciser en faisant le plus possible participer l’enfant :

  • les circonstances de survenue de la douleur et son mode évolutif ;
  • les caractéristiques sémiologiques ;
  • l’influence de facteurs calmants ou aggravants et la réponse aux antalgiques ;
  • les répercussions de la douleur sur la vie de l’enfant.

L’examen se fait avec précaution, pour les plus jeunes dans les bras ou sur les genoux des pa-rents, si possible en jouant, et en commençant par les zones non douloureuses.

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Abord de l’enfant douloureux : patience, écoute et empathie, présence des parents, utilisation du jeu.

2. Repérage de la douleur : sémiologie

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Les signes cliniques peuvent être :

  • des modifications du comportement :
    • pleurs, cris, gémissements, geignements, difficultés à obtenir un réconfort (incons-lable) → signes peu spécifiques trop facilement négligés ou attribués à la peur ;
    • visage crispé : froncement des sourcils et des paupières, accentuation des sillons naso-labiaux, ouverture de bouche → signes constitutifs de la grimace de douleur, observables et spécifiques même chez le prématuré ;
    • corps agité, mouvements des quatre membres → signes souvent transitoires trop facilement attribués à la peur et l’opposition ;
    • crispation des doigts et des orteils, raideurs, positions antalgiques, immobilité parfois impressionnante → signes très spécifiques ;
    • troubles de la relation avec l’entourage : désintérêt, refus de communiquer, enfant « lointain », prostré, visage inexpressif → signes spécifiques de l’atonie psychomotrice qui apparaît progressivement ; ne pas la confondre avec la tristesse ou le sommeil ou un trouble de conscience ;
    • troubles du sommeil (insomnie, réveils) ;
    • troubles de l’appétit (refus) ;
  • des modifications des constantes (FC, FR, PA, coloration), peu contributives, non spécifiques ;
  • des plaintes verbales.

Cette observation du comportement par le soignant, en essayant de ne pas provoquer douleur ou peur supplémentaires, est un temps essentiel. Les manifestations corporelles (postures et crispations), la grimace du visage et la prostration sont les signes fiables qui permettent le diagnostic différentiel d’avec la peur ou d’autres émotions.

Quelques pièges :

  • la douleur peut être surévaluée en cas d’anxiété ;
  • la douleur peut être méconnue ou sous-évaluée ou niée en cas de :
    • douleurs intenses : motricité figée, pseudo-sommeil ou, à l’inverse, agitation extrême facilement confondue avec la peur ;
    • douleurs chroniques : dépression, déni, perte du repère « zéro douleur », comporte-ment pseudo-normal ;
    • maladie sévère : lassitude, incompréhension des outils d’évaluation ;
    • situation de handicap : difficultés de reconnaissance ;
    • situation de maltraitance : l’enfant n’exprime pas la douleur ;
    • douleur neuropathique : comportement surprenant. 

3. Évaluation de la douleur : outils d’évaluation adaptés à l’âge

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Pour une évaluation fiable, le rôle de l’entourage familial est très important. Les parents peuvent expliquer l’histoire de l’enfant, parler de sa personnalité et de ses goûts, ainsi que de ses manières d’exprimer et de faire face à la douleur (le coping). Leur présence permet de rassurer l’enfant. Le doudou, le jeu peuvent aussi faciliter le dialogue.     
L’évaluation se fait à l’arrivée, puis régulièrement si douleur ou changement de comportement.


Toujours évaluer à deux temps :

  • « au repos », c’est-à-dire de loin, sans approcher, pour ne pas réveiller la peur ou la douleur ;
  • lors de la mobilisation, pour permettre un choix d’antalgique permettant de bouger avec le minimum de douleur.

Avant l’âge où l’enfant sera capable de donner son avis, le soignant évalue l’intensité de la dou-leur à l’aide d’une échelle d’hétéroévaluation. Ces scores consistent en une liste de symptômes (de comportement et parfois de constantes) à cocher, ce qui aboutit à un chiffre. La validité a été testée : la concordance entre les cotateurs, la cohérence des items, la validité de construction du score (le score mesure la douleur et non la peur ou l’asthénie) et la sensibilité au changement ont été vérifiées.     
L’opinion des parents sur le niveau de douleur favorise leur collaboration. Pour l’enfant porteur de handicap, la place des parents et/ou des donneurs de soin habituels de l’enfant est primordiale pour affirmer la douleur (avec si possible l’aide d’une fiche de liaison ou « passeport »).

L’autoévaluation est habituellement possible et fiable à partir de 6 ans, en l’absence de trouble de la communication ou de déficit cognitif (enfant avec handicap, enfant en réanimation, pour lesquels il existe des échelles comportementales spécifiques). Prendre un peu de temps avec l’enfant est fondamental pour se faire comprendre. La borne haute est décrite simplement : « une très forte douleur, très très mal ».     
Entre 4 et 6 ans, une autoévaluation peut être proposée, mais elle est souvent difficile à obtenir (incompréhension, difficulté à relativiser, surcotation, avec choix du niveau maximum) ; il est alors préférable de reprendre une échelle d’hétéroévaluation.     
Pour les enfants avec douleurs persistantes ou chroniques, dont le score de douleur est souvent déroutant (par exemple score d’intensité élévé contrastant avec un comportement calme, dé-tendu voire parfois souriant), une évaluation plus globale selon le modèle biopsychosocial sera nécessaire.

Différentes échelles d’autoévaluation ou d’hétéroévaluation de la douleur sont disponibles selon les situations (tableaux 11.2 et 11.3) . Ces listes sont données à titre informatif et tout leur conte-nu n’est pas à mémoriser pour les ED. Retenir principalement pour la pratique courante : EVEN-DOL (fig. 11.1), EVA pédiatrique et échelle de visage FPS.


Tableau 11.2. Échelles recommandées selon l’âge et la situation pour une douleur liée à la maladie ou à la chirurgie.     

  Âge Échelle Seuil de traitement
Hétéroévaluation Nouveau-né à terme ou prématuré EDIN 4 à 5/15*
EVENDOL 4/15**    
0–7 ans EVENDOL (pour toute douleur, aiguë ou prolongée avec atonie, 0–7 ans) 4/15**  
FLACC (plutôt douleur aiguë et postopératoire, 2 mois–7 ans) 4/10 *    
DEGR ou HEDEN (plutôt douleur prolongée, atonie psychomotrice en oncologie, 2–7 ans)

10/40 pour DEGR**

3/10 pour HEDEN*

   

Autoévaluation

selon compréhension et préférence de l’enfant

À partir de 4 ans Visages (FPS-R) 4/10**
À partir de 6 ans EVA (à présentation verticale) 3/10**  
À partir de 8 ou 10 ans EN (échelle numérique 0–10) 3/10**  
Description qualitative Localisation Schéma du bonhomme  
Caractéristiques DN4 (diagnostic de douleur neuropathique)    
Handicap, difficultés de communication, etc. Enfant inconnu de l’équipe FLACC modifiée 4/10*
GED-DI 7/81 ou 11/90**    

Enfant connu

de l’équipe

DESS (San Salvadour) 6/40**  
Réanimation COMFORT-B (mesure aussi la sédation) 17/30**  

 

Soit le seuil a été déterminé par l’habitude clinique (*), soit il a été étudié et déterminé par les auteurs (**).

 


Tableau 11.3. Échelles recommandées selon l’âge et la situation pour la douleur brève d’un soin, d’une mobilisation.

  Âge Échelle Seuil de traitement
Hétéroévaluation Nouveau-né à terme ou prématuré DAN 3/10**
NFCS 1/4*    
2 mois–7 ans FLACC 4/10 *  
1–7 ans CHEOPS 8/13 *  
Autoévaluation Selon compréhension   
et préférence de l’enfant
À partir de 4 ans Visages (FPS-R) 4/10**
À partir de 6 ans EVA (présentation verticale) 4/10**  
À partir de 8 ans EN (échelle numérique 0–10) 3/10**  

Soit le seuil a été déterminé par l’habitude clinique (*), soit il a été étudié et déterminé par les auteurs (**).

4. Pièges de la discordance : surcotation ? sous-cotation ?

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La parole de l’enfant ne doit jamais être décrédibilisée, même si une discordance entre le score donné par l’enfant ou l’adolescent et son comportement apparaît.
En cas de score élevé ne concordant pas avec le comportement, EVENDOL est parfois préconisée mais comme tout score comportemental, elle se borne à enregistrer le comportement visible, le ressenti intime ne lui est pas accessible ! EVENDOL ne doit jamais servir à prouver que l’enfant exagère ou n’a pas mal.
L’enfant peut décider plus ou moins consciemment de ne pas exprimer sa douleur ; les adolescents ont souvent un « masque ».
L’enfant avec maladie somatique chronique, habitué aux hospitalisations, peut donner un chiffre élevé s’il souhaite rester à l’hôpital ou, à l’inverse, un chiffre bas s’il ne veut pas être hospitalisé et perfusé (situation fréquente par exemple chez les drépanocytaires).
Si la douleur est chronique, une évaluation selon le modèle biopsychosocial est nécessaire.

Fig. 11.1.   Échelle d’hétéroévaluation EVENDOL (EValuation Enfant DOuLeur).
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Fig. 11.1. Échelle d’hétéroévaluation EVENDOL (EValuation Enfant DOuLeur).


Échelle validée pour mesurer la douleur (aiguë bruyante ou persistante avec atonie), de 0 à 7 ans, en pédiatrie, aux urgences, au SAMU, en salle de réveil, en postopératoire. 

  1. Au repos au calme (R) : observer l’enfant avant tout soin ou examen, dans les meilleures conditions possibles de confort et de confiance, par exemple à distance, avec ses parents, quand il joue… 
  2. À l’examen ou la mobilisation (M) : il s’agit de l’examen clinique ou de la mobilisation ou palpation de la zone douloureuse par l’infirmière ou le médecin. 
  3. Réévaluer régulièrement en particulier après antalgique, au moment du pic d’action : après 30 à 45 minutes si oral ou rectal, 5 à 10 minutes si IV. Préciser la situation, au repos (R) ou à la mobilisation (M). 
     

Source : Pain 2012 ; 153 : 1573–82. Pediatr Emerg Care 2019 ; 35 : 125–131. Reproduit avec l’autorisation des auteurs. © 2011. Groupe EVENDOL. 

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Échelle d’hétéroévaluation la plus utilisée en France entre 0 et 7 ans : EVENDOL.
Dès l’âge de 4 à 5 ans : proposer une échelle d’autoévaluation de la douleur.
Échelles d’autoévaluation les plus utilisées : échelle des visages FPS-R, EVA verticale, échelle numérique à l’adolescence, dessin.

B. Prévenir et traiter la douleur

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Le traitement de la douleur est indispensable, parallèlement à la démarche diagnostique et au traitement étiologique. Soulager au moins partiellement est une nécessité, un impératif éthique et parfois une urgence absolue devant une douleur majeure.
Ne pas traiter la douleur aggrave la détresse et l’angoisse, installe le sentiment de ne pas être écouté ni compris, avec un impact négatif important à court terme.

Des études ont montré que l’enfant, même nouveau-né, enregistre la douleur dans sa mémoire consciente, mais aussi inconsciente, déjà active chez les plus jeunes.

La mémorisation des douleurs a un impact délétère à long terme : la douleur sensibilise à la douleur, la douleur suivante sera plus forte et plus inquiétante avec des conséquences en termes de perte de confiance, voire de désespoir, d’opposition, avec le risque de phobie des soins. De plus, la douleur non soulagée est un facteur de risque de chronicisation de la douleur.
À l’inverse, soulager la douleur modifie le souvenir, la douleur mémorisée sera plus faible qu’initialement enregistrée !

1. Prévention de la douleur et de la détresse liées aux soins

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La douleur liée aux soins est vécue par les petits enfants comme une agression incompréhensible, sans rationnel, d’où détresse et protestation vite majeures même pour un soin banal pour l’adulte (vaccination, prise de sang). La plupart des soins génèrent douleur et peur ; une phobie des soins peut s’installer rapidement.

Prévention de la douleur et de la peur doivent être systématiques, dès le premier soin, en colla-boration avec les parents, avec des méthodes non pharmacologiques toujours, et des moyens pharmacologiques souvent.

Méthodes non pharmacologiques
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Avant le soin :

  • organiser un environnement accueillant, serein ;
  • établir une relation de confiance ;
  • informer, sans mentir ni banaliser, sur : le soin, son déroulement, les moyens utilisés pour le vivre confortablement, le rôle de chacun (fiches explicatives de l’association Sparadrap, par exemple) ;
  • éviter les phrases négatives comme « n’aie pas peur, ne t’inquiète pas » ; utiliser des formulations positives « rassure-toi » ou « tout se passera au mieux » ;
  • rassurer l’enfant et ses parents, expliquer l’intérêt du soin chez les plus âgés, rappeler aux plus jeunes que le soin n’est pas une punition ;
  • prévoir la participation de l’enfant s’il le souhaite (regarder, décoller le pansement ou au con-traire s’en éloigner mentalement) ;
  • prévoir et organiser les méthodes d’analgésie selon le niveau attendu de douleur du soin et l’état de l’enfant ;
  • prévoir la présence des parents et leur donner un rôle : garder le contact visuel, verbal et tactile avec leur enfant, participer à la distraction, les plus jeunes dans les bras, ne pas les impliquer dans la contention forte ;
  • prévoir si possible un soignant déjà expérimenté.

Pendant le soin :

  • installer parent, enfant et soignant confortablement ;
  • faire respirer calmement ;
  • distraire : bulles de savon, jouets sonores ou lumineux, histoire lue, dialogue, chansons, vidéo, jeux vidéos, réalité virtuelle… ;
  • ou mettre en place l’hypnoanalgésie : à partir de 5 à 6 ans, par un soignant formé, très efficace (l’enfant est très suggestible) : l’enfant est guidé, accompagné vers un état de concentration sur autre chose que le soin, ce qui en modifie la perception ;
  • ne pas tenir de force, savoir s’arrêter si le soin se passe mal et réfléchir en équipe comment faire autrement.

Après le soin :

  • terminer le soin avec une parole ou un acte positifs et agréables (ce moment sera mémorisé) : féliciter, valoriser le courage, même si l’enfant a pleuré ;
  • évaluer la douleur, évaluer le degré de la contention si elle a été une difficulté.
Moyens médicamenteux
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Toujours en association avec les moyens non pharmacologiques.

Les solutions sucrées orales produisent une analgésie efficace pour une effraction cutanée chez le nouveau-né, y compris prématuré, et le nourrisson jusqu’à 6 mois :

  • saccharose 24 % (dosettes unidoses commercialisées) ou glucosé 30 % ;
  • déposer quelques gouttes sur le bout de la langue ;
  • puis faire téter une tétine non nutritive pendant le soin ;
  • durée de l’analgésie : 5 à 7 minutes.

L’allaitement maternel pendant le soin est tout aussi efficace.

Le MEOPA, mélange équimolaire oxygène-protoxyde d’azote (50/50), gaz anxiolytique et antal-gique est la référence pour les actes et soins douloureux (ponction veineuse, suture, ponction lombaire, myélogramme, sondage vésical, pansement de brûlure…) :

  • inhalation minimum 3 minutes avant, poursuivie pendant le soin ;
  • durée < 60 minutes (selon l’AMM) ;
  • à partir de l’âge d’1 mois, mais surveillance de la sédation plus délicate chez le bébé ; accepta-tion du masque parfois difficile avant 3 ans : ne jamais administrer de force ; rester ludique, montrer aux parents, laisser la tétine ; après 3 ans : approcher lentement le masque, laisser l’enfant se l’approprier (par exemple, le colorier avec des feutres à odeurs), laisser l’enfant tenir son masque ;
  • effets indésirables : nausées/vomissements, sédation ; réversibles en quelques minutes à l’arrêt ;
  • contre-indications : HTIC, trouble de conscience, oxygénodépendance > 50 %, pneumothorax, traumatisme craniofacial.  
     

Une formation courte est obligatoire préalablement à son utilisation.  
Toujours associer à un accompagnement par la distraction (jeux, chanson, histoires, tablette) ou de l’hypno-analgésie pendant l’inhalation pour renforcer les effets.

La crème anesthésiante lidocaïne-prilocaïne (EMLA® ou génériques) crème + pansement occlusif ou patch, est efficace pour l’anesthésie de l’effraction cutanée à tout âge y compris chez le nou-veau-né à terme :

  • anesthésie cutanée sur 3 mm de profondeur au bout de 1 heure d’application et sur 5 mm au bout de 2 heures ;
  • durée d’anesthésie d’1 à 2 heures ensuite.

Les anesthésiques locaux (Xylocaïne®) peuvent être utilisés en infiltration sur les berges d’une plaie. L’injection est douloureuse, il est recommandé de tamponner le pH acide de la solution , d’injecter très lentement et sous inhalation de MEOPA.

Ces moyens peuvent être associés pour plus d’efficacité.  
Des anxiolytiques de type hydroxyzine peuvent être utilisés pour diminuer l’anxiété.  
En cas d’inefficacité, une sédation médicamenteuse (orale ou rectale ou IV) est utilisée dans les lieux de soin (par exemple, benzodiazépine ou morphinique ou les deux), avec une surveillance particulière du risque de dépression respiratoire.

 

Le tableau 11.4 synthétise les délais d’efficacité des moyens antalgiques pour les soins.  

Tableau 11.4. Moyens antalgiques pour les soins : délais d’efficacité.  
 

  • Saccharose : 2 minutes avant le soin (tout en faisant téter une tétine ensuite)
  • MEOPA : 3 minutes (et poursuivre l’inhalation pendant le soin)
  • Anesthésiques locaux (infiltration) : 5 minutes
  • Crème ou patch anesthésiant de type EMLA® : 60 à 120 minutes
  • Administration per os : 30 à 60 minutes (l’efficacité décroît après ce délai)
  • Voie intrarectale d’un liquide (habituellement forme prévue pour l’IV) : moins de 10 minutes
  • Voie intraveineuse directe : moins de 10 minutes
Texte

Pour tout soin douloureux : informer avant, présence des parents, distraire ou accompagner par l’hypnose, solutions sucrées orales ou allaitement chez les plus jeunes, MEOPA, crème anesthé-siante ou patch, pas de contention forte.

< class="paragraph paragraph--type--titre paragraph--view-mode--default"> 2. Principes du traitement de la douleur
Texte

Les douleurs liées à une maladie ou traumatiques ou postopératoires nécessitent un traitement médicamenteux, toujours associé à un traitement non médicamenteux (au minimum soutien rela-tionnel, distraction).
Les douleurs chroniques médicalement inexpliquées (abdominales, musculo-squelettiques…) re-lèvent surtout de méthodes non médicamenteuses, psychocorporelles.
La relation thérapeutique chaleureuse, dans la confiance, en demandant l’avis de l’enfant et des parents sur l’évaluation de la douleur, les objectifs de soulagement, l’effet du traitement et les effets indésirables, est indissociable de la prescription.

Moyens médicamenteux
Texte

L’objectif devant une douleur aiguë ou récente est d’obtenir une analgésie rapide.

Principes :

  • prescription antalgique systématique, à horaires réguliers (selon la demi-vie de la molécule), pour la durée prévisible de la douleur ;
  • choix initial selon l’évaluation réalisée avec une échelle validée ; choisir d’emblée la molécule adaptée au niveau de douleur ;
  • toujours prévoir un recours (ordonnance évolutive), en cas de douleur persistante malgré le traitement, en précisant le critère, par exemple : si EVA ≥ 4/10 ou si EVENDOL ≥ 5/15… ;
  • privilégier les voies orales ou IV ; bannir les suppositoires et les IM sauf exception ;
  • suivi de l’efficacité : adaptation en réévaluant régulièrement la douleur ;
  • ne jamais utiliser volontairement de placebo (sauf essai clinique contrôlé) : le placebo ne permet pas de distinguer entre douleur organique et psychosomatique (les deux répondent au placebo) et perturbe la relation de confiance.

Choix de l’antalgique en fonction :

  • du mécanisme : origine nociceptive ou neuropathique ;
  • de l’intensité : nécessité de l’évaluation préalable et régulière ;
  • de l’étiologie de la douleur :
    • pas ou peu d’antalgiques pour les douleurs sans origine organique, et jamais de mor-phinique ;
    • pas de morphinique pour une migraine ou des céphalées ;
    • AINS spécialement indiqués dans certaines situations (traumatisme, migraine).

Suite aux limitations de prescription de la codéine chez l’enfant, la HAS a fait paraître en 2016 des recommandations de bonne pratique concernant l’emploi des antalgiques dans les situations courantes principalement ambulatoires de pédiatrie.

Une synthèse de la classification des principaux antalgiques utilisés chez l’enfant ainsi que la cor-respondance entre antalgiques et intensité de la douleur sont proposées dans les tableaux 11.5 et 11.6.

Texte

Tableau 11.5. Classification des principaux antalgiques utilisés.

Antinociceptifs Non morphiniques Palier 1 Paracétamol
AINS, principalement ibuprofène      
Antispasmodiques Phloroglucinol    
Morphiniques Palier 2 Codéine  
Tramadol      
Nalbuphine*      
Palier 3 Morphine    
Fentanyl patch      
Anti-douleur neuropathique Antidépresseur Amitryptilline (hors AMM)  
Antiépileptique Gabapentine (hors AMM)    
Prégabaline (hors AMM)      
Anesthésique local Versatis® patch lidocaïne (hors AMM)    
Modulateur (anti-hyperalgésie) Néfopam (hors AMM)    
Kétamine      

 * La nalbuphine est classifiée dans le palier 3 même si son effet plafond limite son efficacité à un équivalent palier 2.

 


Tableau 11.6. Correspondance antalgique/intensité de la douleur pour une douleur nociceptive.  

Intensité de la douleur EVA ou EN (0 à 10) Activités de l’enfant Antalgique
Légère 1 à 3 Normales ou subnormales Abstention ou Paracétamol
Modérée 3 à 5 Diminuées Paracétamol 
Prévoir si insuffisant : 
+ AINS et/ou palier 2
Intense 5 à 7 Très pauvres Paracétamol + palier 2 
+ Si indiqués, AINS 
Prévoir si insuffisant : palier 3
Très intense 7 à 10 Arrêtées Paracétamol + palier 3 
+ Si indiqués, AINS
Moyens non médicamenteux
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L’instauration d’une relation de confiance avec l’enfant et sa famille, l’écoute attentive et la volonté de rejoindre l’univers de l’enfant sont des étapes essentielles. Le soutien relationnel, l’information, le jeu, la présence des parents et des méthodes simples de réassurance et de dis-traction sont systématiquement associés.

Dans certaines indications, le recours aux méthodes physiques (exercice, kinésithérapie, mas-sages, électrostimulation, application de chaud ou de froid), aux méthodes cognitivo-comportementales ou psychocorporelles (relaxation, méditation, hypnose) et parfois aux psychothérapies verbales, est utile, voire nécessaire, en particulier pour les douleurs chroniques.

Texte

Antalgique adapté au mécanisme, à l’intensité, à l’étiologie de la douleur, selon l’AMM et les re-commandations (ANSM, HAS, Pédiadol). Toujours associer aux moyens non médicamenteux.

3. Critères de surveillance d’un traitement antalgique

Texte

L’objectif de la prise en charge antalgique lors d’une douleur aiguë ou récente en cours est de ramener l’EVA à une valeur ≤ 3 ou 4/10, ou ≤ à la valeur équivalente du score comportemental choisi (par exemple, EVENDOL ≤ 4 ou 5/15), et d’obtenir la reprise des activités de base de l’enfant (bouger, jouer, dormir, manger, parler).

Tout traitement doit conduire à une réévaluation utilisant la même échelle d’évaluation.
Toute situation nécessitant une augmentation des doses et/ou un changement de palier médicamenteux de façon imprévue doit faire rechercher une complication de l’affection causale ou un événement intercurrent inattendu.

En cas de prise en charge ambulatoire (étiologie bénigne, douleur contrôlée avec des antalgiques simples), les parents doivent recevoir des informations précises mentionnant sur l’ordonnance : les prises systématiques pendant un temps déterminé, les consignes d’adaptation du traitement si nécessaire, et la nécessité de reconsulter si l’analgésie est insuffisante ou en cas d’effet inattendu.
Des consignes simples de surveillance doivent être données aux parents : demander à l’enfant si le soulagement est suffisant, observer le retour aux activités normales.
Une surveillance étroite adaptée aux enfants traités par morphine est indispensable (voir § III.B.4. Morphine).

III. Médicaments utilisables

A. Antalgiques antinociceptifs non morphiniques (palier 1 de l’OMS)

Texte

Voir tableau 11.7.  

Tableau 11.7. Palier 1 : paracétamol et AINS.  

Molécule Voie d’administration et présentations AMM (âge) Posologie Effets indésirables Contre-indications
Paracétamol 
Le 1er recours
PO : sirop avec pipette dose/poids, sachet ou dosette ou comprimé sublingual, comprimés à avaler ou effervescents Dès la naissance 15 mg/kg/prise toutes les 6 heures 
Délai d’action : 30 à 60 minutes
Rares aux doses thérapeutiques 
Toxicité : insuffisance hépatocellulaire fulminante à partir d’une ingestion de 150 mg/kg
lnsuffisance hépatocellulaire sévère 
Hypersensibilité au paracétamol
Voie rectale déconseillée (biodisponibilité basse et imprévisible)          
IV : efficacité équivalente entre IV et PO Nouveau-né, prématuré, nourrisson : diminution des doses IV        
AINS 
Le 2e recours
PO (ibuprofène) 
Sirop (pipette poids délivrant soit 7,5 mg/kg soit 10 mg/kg) 
Comprimé
AMM dès 3 mois 7,5 mg/kg/prise toutes les 6 heures ou 10 mg/kg/prise toutes les 8 heures Délai d’action : 30 à 60 minutes 
Prévoir une durée courte (2 à 4 jours)
Exceptionnels en pédiatrie en durée courte (saignement digestif surtout) 
Toujours reconsulter si nouveaux symptômes
Ulcère, trouble de la coagulation 
Non recommandé si : varicelle, infection bactérienne sévère (pleuropulmonaire, ORL compliquée, cutanée ou des tissus mous) car risque potentiel d’aggravation
IV (kétoprofène) AMM à 15 ans        
Autres AINS AMM variables        

B. Antalgiques antinociceptifs morphiniques (paliers 2 et 3 de l’OMS)

Texte

Voir tableau 11.8.  

Tableau 11.8. Palier 2 : principales molécules.  

Molécule Voie d’administration et présentations AMM (âge) Effets indésirables Contre-indications
Codéine PO : cp. associant codéine et paracétamol À partir de 12 ans Constipation, nausées, vomissements, somnolence, impression de malaise ou d’ébriété, vertiges 
Risque addictif à long terme
Après amygdalectomie ou adénoïdectomie 
Crise d’asthme en cours 
Insuffisance respiratoire ou hépatocellulaire 
Précaution si trouble neurologique en cours 
Hypersensibilité à la codéine
Tramadol PO : soluté en gouttes À partir de 3 ans Somnolence, vertiges, nausées, vomissements, céphalée, convulsion 
Risque addictif à long terme.
Hypersensibilité au tramadol 
Déconseillé si atteinte respiratoire 
Si encombrement des voies respiratoires, surveiller sédation et respiration après la 1re prise 
Prudence si trouble neurologique évolutif
PO : cp. associant tramadol et paracétamol et LP À partir de 12 ans      
IV Usage exceptionnel      
Nalbuphine 
Morphinique agoniste-antagoniste
IV 
IR en l’absence de voie IV (surtout aux urgences)
≥ 18 mois 
Utilisation en pratique courante avant cet âge  
Somnolence, vertiges, nausées, impression de « planer » 
Quasiment jamais de dépression respiratoire 
Effet plafond : passer à la morphine en titration si douleur non contrôlée
Hypersensibilité à la nalbuphine 
Précaution d’emploi si atteinte respiratoire ou neurologique évolutive
Morphine PO : 2 formes orales selon délai et durée d’action 
– Libération immédiate (LI) : délai d’action : 30 à 45 minutes, durée d’action : 4 heures, formes gouttes et cp. 
– Libération prolongée (LP) : délai d’action : 2 à 4 heures, durée d’action 12 heures, forme cp.
PO : ≥ 6 mois mais utilisation dès la naissance possible (diminuer la posologie de moitié si < 6 mois) – PO et IV : constipation (prévention systématique par laxatifs de type macrogol), nausées, prurit, rétention aiguë d’urine, surtout avec voie IV 
– Pour IV : prévention ou traitement des effets indésirables par antagonistes de la morphine à très petite dose (naloxone ou nalbuphine) 
– Signes d’alerte de surdosage (surtout voie IV) : somnolence et bradypnée ; prévention : surveillance régulière (vigilance, FR, EVA) ; traitement : stimulation, oxygénation, antidote IV (naloxone)
Insuffisance respiratoire décompensée 
Insuffisance hépatocellulaire sévère 
Précaution si trouble neurologique évolutif, si insuffisance rénale 
Attention aux erreurs de prescription et d’administration, faire contrôler la prescription par un médecin senior, surtout pour l’IV, faire contrôler la préparation par une 2e infirmière
IV 
Délai d’action : 5 minutes
Dès la naissance      

D’autres opioïdes sont utilisés chez l’enfant exceptionnellement : fentanyl intranasal ; et principalement pour les douleurs du cancer : oxycodone, fentanyl patch, fentanyl transmuqueux, buprénorphine, hydromorphone (non abordés ici).

Texte

Connaître les principes de prescription de ces principaux antalgiques.

C. Autres médicaments antalgiques

1. Antispasmodiques

Texte
  • Efficacité modeste et peu documentée, à associer à un autre antalgique.
  • Indications : douleurs viscérales.
  • Voie orale : phloroglucinol, trimébutine, tiémonium.
  • Voie injectable : phloroglucinol.

2. Néfopam

Texte
  • Modulateur de l’analgésie.
  • Utilisé en IV continu par de nombreuses équipes chez le grand enfant et l’adolescent, en complément des antalgiques, malgré l’AMM à 15 ans.
  • Usage per os : peu documenté.
  • Effets indésirables : vertiges, somnolence, nausées, convulsion.

3. Kétamine

Texte
  • Médicament anesthésique, utilisé comme modulateur (antihyperalgésie) à petite dose, sur protocole.
  • Présence requise d’un médecin senior habitué à gérer la sédation et la ventilation. Surveillance de type soins intensifs.
  • Indications : à petite dose en IV continu en association avec la PCA de morphine IV pour une douleur sévère résistante aux morphiniques ; en prémédication de geste invasif par une équipe formée.

4. Anxiolytiques : hydroxyzine ou benzodiazépines

Texte
  • Indication : en prémédication de gestes douloureux afin de diminuer l’anxiété.
  • Voie injectable (surveillance rapprochée) ou en intrarectal ou voie orale : midazolam

5. Médicaments des douleurs neuropathiques

Texte
  • Si douleur neuropathique suspectée : avis spécialisé recommandé.
  • Voie orale, molécules de première intention : amitriptyline ou gabapentine, introduire à dose progressivement croissante (hors AMM actuellement).
  • Voie locale : anesthésique topique de type lidocaïne emplâtre (Versatis®), sur la zone d’allodynie (hors AMM).

D. Points clés, recommandations d’emploi des antalgiques

Texte

Les recommandations actuelles s’appuient sur les recommandations 2016 de la HAS « Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l’enfant : alternatives à la codéine » et sur les recommandations des sociétés d’experts : Pédiadol, SFETD, Académies anglaises, américaines et canadiennes de pédiatrie.

1. Principales données

Texte
  • L’éducation des prescripteurs, des pharmaciens et des familles sur la douleur et ses traitements est primordiale afin de garantir des conditions optimales de prise en charge.
  • Dans certaines situations, comme la traumatologie et certaines douleurs postopératoires, les AINS ont montré une efficacité supérieure aux antalgiques morphiniques.
  • En cas d’insuffisance d’efficacité du paracétamol seul ou de l’ibuprofène seul, leur association, et non leur alternance, est recommandée.
  • Si l’ibuprofène est prescrit aux posologies recommandées pour une durée courte (48 à 72 heures), les effets indésirables sont rares.
  • Les indications des paliers 2 sont restreintes. Il est recommandé désormais par l’OMS et la plupart des sociétés savantes de recourir à la morphine à petite dose si l’association paracétamol-ibuprofène est insuffisante, sans passer par le palier 2.
  • La morphine orale est recommandée dans la prise en charge des douleurs intenses ou en cas d’échec d’antalgiques moins puissants.
  • Les morphiniques (codéine, tramadol, morphine…) ne sont pas recommandés pour le traite-ment au long cours des douleurs chroniques non cancéreuses comme les douleurs abdominales récurrentes ou musculo-squelettiques, les céphalées et migraines.

2. Exemples de prescription

Texte

Une prescription ambulatoire : otite moyenne aiguë

  • Douleur modérée : paracétamol ou ibuprofène ou association des deux.
  • Douleur sévère : paracétamol et ibuprofène, réévaluer, tramadol voire une prise de morphine orale en urgence si besoin ; gouttes auriculaires avec anesthésique local (contre-indication : tympan perforé).
  • Attention : la persistance de l’otalgie à 48–72 heures est un motif de réévaluation médicale (parfois recours à la paracentèse qui fait disparaître la douleur).


Une prescription aux urgences : traumatologie (fractures, entorses)

  • Douleur modérée : paracétamol ou ibuprofène ou association des deux.
  • Douleur sévère : association ibuprofène et tramadol ou ibuprofène et morphine orale.
  • Attention : analgésier avant toute mobilisation, avant la radiographie, avant la confection du plâtre ; recourir facilement au MEOPA.

3. Que faire devant un adolescent douloureux chronique ?

Texte

Enfants et adolescents douloureux chroniques (céphalées, douleurs abdominales, douleurs musculo-squelettiques) consultent souvent dans de multiples lieux de soins dans une errance dia-gnostique, à la recherche d’un soulagement.
Croire l’adolescent, confirmer la douleur chronique est une première étape, sans juger ni mini-miser ni condamner.
Il est recommandé d’explorer le contexte dans lequel est survenue cette douleur, son retentissement dans les différents domaines de vie de l’enfant (scolaire, social, familial) et de rechercher les facteurs psycho-émotionnels associés, causes ou conséquences étant devenues indistinguables (trouble du sommeil, anxiété, dépression, catastrophisme, tentatives de suicide, scarifications, événements de vie…).
Cette évaluation est réalisée au mieux lors d’une consultation dédiée. Les antalgiques habituels sont peu utiles et les morphiniques sont à éviter. Les méthodes physiques, psychocorporelles et psychothérapeutiques sont à mettre en œuvre

IV. Méthodes non médicamenteuses

Texte

Les composantes de la douleur nécessitent des réponses qui tiennent compte à la fois des aspects sensoriels, physiques, cognitifs et émotionnels.

Moyens physiques
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L’activité physique adaptée, la kinésithérapie, les massages, l’électrostimulation (TENS), l’application de froid, de chaleur, de vibrations, sont souvent indiquées, surtout en traumatologie, en postopératoire, en rhumatologie, et pour les douleurs prolongées ou chroniques.

Moyens psychologiques affectifs et cognitifs : les méthodes psychocorporelles
Texte

La musique, la distraction de l’attention par des moyens variés, la réalité virtuelle, l’hypnoanalgésie, font partie des principales méthodes psychocorporelles auxquelles les professionnels de pédiatrie ont recours pour réduire la douleur et l’anxiété de l’enfant, avec une efficacité documentée par de nombreuses études, en particulier pour les douleurs induites par les soins.

Moyens relationnels psychothérapeutiques
Texte

Les méthodes psychocorporelles et les psychothérapies sont recommandées pour les douleurs chroniques.

La qualité de l’analgésie pédiatrique est liée à l’aspect multimodal des interventions que l’on pro-pose à un enfant douloureux. Ces approches corps-esprit dites intégratives répondent à une conception holistique de la médecine.
L’engagement du professionnel de santé dans cette prise en charge nécessite le soutien du service, de l’institution autant qu’une démarche personnelle et d’équipe, en même temps qu’il pro-cure une grande satisfaction dans le travail. Bénéficier de la mise en œuvre des moyens antalgiques fait partie des droits de l’enfant, qui en sera le bénéficiaire.
Prendre soin, soulager autant que possible font partie intégrante du traitement de la maladie, dans une approche éthique centrée sur la bientraitance de l’enfant.

Texte

Synthèse des recommandations antalgiques selon la situation


Douleur récente dite « aiguë »

  • Cause évidente nociceptive ou neuropathique ou mixte : maladie, chirurgie, traumatisme, soins.
  • Depuis quelques minutes à quelques heures, jours ou semaines.
  • Influence de l’anxiété, de la mémorisation.
  • Évaluer l’intensité avec une échelle validée.
  • À prévenir et traiter par les antalgiques en associant les méthodes non pharmacologiques physiques et psychologiques (réassurance, distraction, relaxation, hypnose).


Douleur chronique inexpliquée

  • Cause souvent disproportionnée ou introuvable : céphalées chroniques, douleurs abdominales récurrentes, douleurs musculo-squelettiques, SDRC, dysménorrhée.
  • Facteurs psycho-sociaux au premier plan (somatisation).
  • Évaluer le retentissement et le contexte (anxiété, soucis, conflits…) plus que l’intensité.
  • Prise en charge globale multimodale : méthodes non pharmacologiques, physiques, psychocorporelles, psychothérapeutiques, peu d’antalgiques.


Situations intermédiaires

  • Douleurs aiguës récurrentes : crise vaso-occlusive drépanocytaire, migraines et céphalées de tension, douleurs abdominales.
  • Douleur chronique accompagnant une maladie somatique chronique : cancer, polyhandicap, rhumatisme, maladie osseuse, drépanocytose, mucoviscidose, etc.

Références

Texte
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HAS. Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l’enfant : alternatives à la codéine. Fiche Mémo. 2016.

http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-02/pri…

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ANSM. Médicaments à base de tétrazépam, d’almitrine, de rénalate de strontium et de codéine (chez l’enfant) : avis et recommandations du PRAC. 2013.

https://www.vidal.fr/actualites/13055-tetrazepam-almitrine-ranelate-de-…

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Recommandations de pratiques cliniques de la Société française d’ORL et de chirurgie cervico-faciale. AINS et infections ORL pédiatriques. 2017.

https://www.sforl.org/wp-content/uploads/2020/02/AINS-et-infections-ORL…

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Fournier-Charrière E., Tourniaire B., et le groupe Pédiadol. Douleur de l’enfant, l’essentiel. Édition Pédiadol 2015, 80 p. Téléchargeable sur le site Pédiadol.

https://pediadol.org/wp-content/uploads/2019/02/guide_essentiel_interac…

f11-06-9782294779831.jpg

Site Pédiadol. Protocoles (sucre, MEOPA, morphine…) et conseils.

www.pediadol.org

<

f11-07-9782294779831.jpg

Livrets d’information à destination des enfants, des parents et des soignants : site de l’association Sparadrap.

www.sparadrap.org

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Site dolomio.org, utile pour les douleurs chroniques.