Objectifs pédagogiques
- Détecter les situations à risque suicidaire chez l’enfant, chez l’adolescent et chez l’adulte.
- Argumenter les principes de la prévention et de la prise en charge.
Avant de commencer…
Les conduites suicidaires chez l’enfant et l’adolescent sont un enjeu de santé publique en raison de leur fréquence, de leur possible gravité et des impacts sociaux et familiaux. Une crise suicidaire est toujours le témoin d’une souffrance psychique.
Le repérage des situations à risque et la prise en charge des tentatives de suicide sont essentiels.
Les conduites suicidaires ne doivent pas être banalisées et ne sont jamais à mettre sur le compte d’une « crise d’adolescence ».
I. Pour bien comprendre
A. Définitions
La HAS a rappelé les définitions des conduites suicidaires dans un document de 2021.
On distingue :
- Idée suicidaire : fait de penser à mourir, qualifiée de :
- passive : vouloir être mort sans penser à se suicider ;
- active : penser à se suicider.
- Tentative de suicide (TS) : comportement autodirigé, potentiellement préjudiciable, dont l’issue n’est pas fatale et pour lequel il existe des preuves explicites ou implicites de l’intention de mourir.
- Suicide : décès causé par un comportement autodirigé préjudiciable, pour lequel il existe des preuves explicites ou implicites de l’intention de mourir.
- Processus suicidaire : catégorie recouvrant l’ensemble du spectre allant des idées suicidaires au suicide, en passant par les tentatives de suicide et l’ensemble des comportements préparatoires au passage à l’acte.
- Comportement suicidaire : catégorie recouvrant la part agie du processus suicidaire, c’est-à-dire les tentatives de suicide et l’ensemble des comportements préparatoires au pas-sage à l’acte.
- Suicidé : état d’une personne qui est décédée par suicide.
- Suicidaire : état d’une personne qui a des idées suicidaires.
- Suicidant : état d’une personne qui a fait une tentative de suicide.
- Réitération suicidaire : nouvelle tentative de suicide pour une personne qui a déjà un ou plu-sieurs antécédents de tentatives de suicide.
- Automutilation ou comportement autovulnérant : comportement autodirigé, potentiellement préjudiciable, pour lequel il existe des preuves implicites ou explicites que la personne n’avait pas l’intention de mourir
B. Épidémiologie
Le taux de suicide en 2016 en France chez les 15 à 24 ans est de 4 pour 100 000 personnes (13 pour 100 000 tous âges confondus). Depuis plus de 30 ans, le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 15 à 24 ans et la cinquième cause de mortalité chez les moins de 13 ans. Ces taux étaient en constante diminution dans toutes les tranches d’âge avant la pandémie de COVID-19.
Les moyens les plus utilisés pour se suicider sont la pendaison et la chute d’un lieu élevé.
Les tentatives de suicide chez les enfants apparaissent comme un phénomène rare mais non exceptionnel, puisque 10 à 15 % des TS de l’enfant et de l’adolescent concerneraient les moins de 13 ans. Pour les adolescents, 5 à 10 % déclarent avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie. C’est l’intoxication médicamenteuse volontaire qui est le moyen le plus fréquent (80 %). À l’inverse du suicide, les TS sont plus fréquentes chez la fille (sexratio 1/3).
La réitération après une première tentative de suicide concerne près de 1 adolescent sur 4. Le risque semble être majeur dans les 12 mois après la tentative index.
Concernant les idées suicidaires chez les jeunes en France, des enquêtes déclaratives suggèrent que 8 % des collégiens et 13 % des collégiennes ont eu des idées suicidaires dans les 12 derniers mois.
Les différences épidémiologiques entre suicide et tentative de suicide doivent être bien retenues.
Le suicide est rare à l’adolescence mais c’est une cause de mortalité évitable. Il augmente avec l’âge et concerne majoritairement les garçons.
Les tentatives de suicide sont au contraire fréquentes à l’adolescence et concernent plus les filles.
II. Risque suicidaire : repérage et conduite à tenir
A. Préambule
La HAS recommande, lors de consultations pour des difficultés en lien avec la santé mentale ou lorsque de telles difficultés se révèlent au cours de l’entretien (notamment quand le motif de re-cours n’est pas clairement organique), d’interroger systématiquement l’enfant ou l’adolescent sur l’existence d’idées et de comportements suicidaires actuels, récents ou anciens.
Les questions posées doivent être claires et explicites.
Les auto- et hétéroquestionnaires représentent les principaux outils de dépistage du risque de suicide chez les adolescents.
Il en existe plusieurs dont le BITS proposé en soins primaires :
- Brimades : as-tu récemment été maltraité ou harcelé à l’école, y compris via ton téléphone ou internet ? (1 point si à l’école, 2 points si hors école) ;
- Insomnies : fréquentes (1 point), cauchemars (2 points) ;
- Tabac : irrégulier (1 point), quotidien (2 points) ;
- Stress : scolaire (travail) ou familial (1 point si scolaire (travail) et 2 points si familial).
Il faut approfondir l’évaluation à partir de 3 points.
À l’instar des acteurs de soins primaires en ville, il est préconisé de renforcer les capacités des services d’urgence à identifier les enfants et les adolescents à risque de conduites suicidaires.
Il est rappelé qu’en aucun cas, questionner un enfant ou un adolescent sur la présence d’idées suicidaires n’induira chez lui de telles idées ou ne provoquera de passage à l’acte. En revanche, lorsqu’un enfant ou un adolescent exprime des idées suicidaires à un adulte, en particulier s’il s’agit d’un professionnel, il est nécessaire qu’il reçoive de sa part une réponse réactive et adaptée, notamment en termes d’écoute et d’orientation.
B. Évaluation du risque
Aborder l’adolescent :
- permettre un climat de confiance en étant empathique et professionnel ;
- prendre un temps seul avec l’adolescent ;
- faire une évaluation biopsychosociale large (interview type HEAADSSSS, voir infra) ;
- ne pas oublier un examen clinique complet (regarder la peau) ;
- faire un retour aux parents devant l’adolescent en expliquant les inquiétudes et les mesures proposées.
L’échelle RUD (Risque / Urgence / Danger) évalue le potentiel suicidaire
Il s’agit d’un questionnaire de risque.
« R » : Facteurs de risque
- Antécédent personnel de tentative de suicide, d’idées suicidaires.
- Antécédents familiaux de suicide, tentative de suicide, maladies psychiatriques, addictions.
- Violences subies et notamment harcèlement dont cyberharcèlement.
- Violences sexuelles.
- TCA et notamment anorexie mentale.
- Adoption.
- LGBT (homosexualité, transidentité).
- Psychose.
- Dépression, troubles bipolaires, attaques de panique.
- Syndrome post-traumatique.
- Consommations de toxiques (dont ivresses).
- Symptômes flous : troubles du sommeil, maux de tête/de ventre, fléchissement scolaire
Si R+ (présence de facteurs de risque), poser la question des idées suicidaires.
« U » : Urgence
L’urgence suicidaire est considérée comme faible lorsque l’adolescent pense au suicide mais qu’il n’a pas de scénario précis et peut trouver une alternative pour faire face à sa souffrance.
L’urgence est moyenne quand un scénario est envisagé mais qu’il est décalé dans l’avenir ou imprécis.
L’urgence est élevée lorsque la planification suicidaire est claire, avec un passage à l’acte programmé pour les jours ou même les heures à venir.
« D » : Dangerosité
L’estimation du danger suicidaire se réfère au potentiel létal des moyens à disposition (par exemple, types de médicaments, armes à feu), ainsi qu’à l’accès à ces moyens.
Sur cette base, le danger suicidaire peut être considéré comme faible, moyen ou élevé.
C. Conduite à tenir en urgence
La conduite à tenir passe par l’évaluation du potentiel suicidaire (RUD) pour orienter le jeune.
Un risque suicidaire faible, en l’absence d’autres motifs nécessitant une hospitalisation, ne relève pas d’une hospitalisation. On s’assurera que l’adolescent a dans son entourage un ou des adultes à qui se confier et on pourra lui laisser un numéro de téléphone « si besoin » tel celui de Fil Santé Jeune (0800 235 236). Un suivi auprès d’un psychologue peut être proposé.
Un risque suicidaire moyen nécessite une consultation d’évaluation rapide à programmer selon les possibilités locales (CMP, CMPP, psychiatre libéral, consultation post-urgence). Les parents doivent être informés des idées suicidaires. Si des moyens létaux ou dangereux sont présents au domicile (médicaments, notamment psychotropes et paracétamol, arme à feu…), ceux-ci devront être mis hors de portée de l’adolescent.
Un risque suicidaire élevé nécessite une hospitalisation, au minimum en UHCD, et une évaluation par un médecin d’adolescent et/ou un psychiatre.
Indications formelles d’hospitalisation :
- urgence et/ou dangerosité élevée évaluée par le RUD ;
- non-possibilité de prise en charge à domicile : non-implication des parents, pas d’accès aux soins
En cas d’hospitalisation, l’environnement doit être sécurisé et l’équipe prévenue du risque suicidaire. Les grandes causes de suicide à l’hôpital sont la défenestration/précipitation et la pendaison.
Un transfert en pédopsychiatrie doit être envisagé après évaluation médicale en cas de risque suicidaire très élevé, en cas d’impossibilité de sécuriser l’environnement ou en cas de passage à l’acte suicidaire pendant l’hospitalisation.
La fréquence élevée des pensées suicidaires à l’adolescence justifie leur recherche devant des symptômes de dépression, d’anxiété, de symptômes inexpliqués voire de manière systématique.
Repérer des idées suicidaires et orienter vers un professionnel compétent sauve des vies. L’échelle RUD évalue le risque de passage à l’acte.
III. Tentatives de suicide : principes de prise en charge
A. Aux urgences
Évaluation initiale :
- examen clinique complet, recherche de scarifications (fig. 43.1) ;
- mesure des conséquences physiques de la TS pouvant faire l’objet d’une prise en charge : surveillance et traitement d’une intoxication (voir chapitre 69) ;
- aucune expression de jugement de valeur sur le geste suicidaire ;
- prévention du risque de récidive immédiat par un environnement sécurisé, avec équipe prévenue du risque suicidaire.

Fig. 43.1. Scarifications chez une adolescente.
Source : Lucie Guez.
La décision d’hospitalisation ou de prise en charge ambulatoire d’une crise suicidaire de l’enfant ou de l’adolescent relève de la décision d’un médecin dûment formé et doit s’appuyer de façon intégrée sur différents critères :
- le niveau d’urgence et de vulnérabilité suicidaire ;
- l’âge de l’enfant ou de l’adolescent ;
- le souhait de l’enfant ou de l’adolescent et des titulaires de l’autorité parentale ;
- les objectifs de prise en charge en termes de protection, d’évaluation, de soin, d’accompagnement et de maintien de la cohérence des parcours de soins (notamment en cas de tentatives de suicide multiples) ;
- la qualité de l’environnement et sa capacité à protéger l’enfant ou l’adolescent ;
- les ressources ambulatoires disponibles, leur structuration et leur réactivité ;
- l’existence d’un risque somatique pour les enfants et les adolescents suicidants.
Dans les situations où le risque vital est engagé, la décision médicale d’hospitalisation peut être prise quel que soit l’avis de l’enfant ou de l’adolescent mineur.
Si une hospitalisation est décidée, le service d’adressage dépend de l’âge du patient et d’un éventuel risque somatique :
- pour les enfants, l’hospitalisation en pédiatrie avec une prise en charge par la psychiatrie de liaison doit être privilégiée ;
- pour les adolescents, l’hospitalisation dans des unités dédiées (pédiatrie, médecine ou psychiatrie de l’adolescent) doit être privilégiée.
L’hospitalisation dans les unités psychiatriques pour adultes doit être évitée au maximum. Si elle était malgré tout nécessaire, une prise en charge spécifique devrait y être aménagée.
En cas de risque somatique, l’hospitalisation devrait systématiquement se faire dans un service de pédiatrie ou de médecine avec une prise en charge par la psychiatrie de liaison.
Si une prise en charge ambulatoire est décidée, il est préconisé :
- de demander à l’entourage à ce que l’ensemble des moyens létaux soient retirés ou mis hors de portée ;
- d’informer le patient et sa famille sur la conduite à tenir en cas d’aggravation de la crise suicidaire actuelle ou de nouvelle crise suicidaire ;
- de veiller à ce que des consultations de suivi soient fixées avant la sortie des urgences, d’autant plus rapprochées que l’urgence et/ou la vulnérabilité suicidaires sont élevées ;
- de faire preuve de souplesse dans l’organisation des rendez-vous en cas de crise ; au besoin, rappeler à la famille et au patient les rendez-vous à venir ; contacter le patient et si besoin ses parents lorsqu’un rendez-vous est manqué.
B. En hospitalisation
La prise en charge hospitalière des enfants et des adolescents suicidants ou suicidaires doit permettre :
- de sécuriser l’enfant ou l’adolescent en prévenant le passage à l’acte ;
- de compléter l’évaluation somatique et, le cas échéant, de prendre en charge les conséquences physiques de la tentative de suicide ;
- d’apaiser la symptomatologie et les idées suicidaires ;
- de compléter l’évaluation psychologique et, le cas échéant, de prendre en charge les pathologies sous-jacentes ;
- de compléter l’évaluation sociale, et, le cas échéant, de mettre en place les mesures d’accompagnement et de protection nécessaires ;
- de renouer les liens et de restaurer la communication entre l’adolescent et son entourage, notamment les parents, ainsi que de développer le réseau de soutien social ;
- de débuter un travail psychothérapeutique individuel et familial ;
- de préparer la sortie d’hospitalisation en particulier en impliquant l’entourage par un plan de sécurité.
Évaluation clinique multidisciplinaire :
- bilan d’une éventuelle maladie chronique ;
- appréciation de la croissance, du développement pubertaire, d’une acné ;
- recherche d’une consommation de toxiques ;
- recherche d’une sexualité à risque, bilan d’IST ;
- évaluation d’une contraception.
Évaluation psychique :
- antécédents de traumatisme psychique ou physique : maltraitance sexuelle, psychologique ou physique, carences, événements douloureux ;
- pathologie psychiatrique personnelle et familiale (dépression, TCA, psychose, syndrome post-traumatique), antécédents personnels et familiaux de TS ;
- facteurs de risque de récidive à court terme : forte intentionnalité suicidaire, préméditation et dissimulation du geste suicidaire, persistance d’idées suicidaires, moyen violent utilisé et encore disponible.
Évaluation sociale toujours nécessaire, en lien si possible avec le service social.
IV. Prévention
A. Prévention primaire
Elle concerne les adolescents sans risque suicidaire immédiat mais avec facteur(s) de risque.
La période de l’adolescence est une période de remaniements importants qui peuvent fragiliser et exposer à des risques. Tout professionnel de santé travaillant auprès d’adolescents doit savoir repérer la souffrance psychique des adolescents et les facteurs de risque suicidaire.
On recherchera tout particulièrement l’appartenance à un groupe à risque (par exemple minorité sexuelle), un infléchissement des résultats scolaires, une hyperactivité, des troubles du comportement alimentaire, des prises de risque notamment sexuelles, une violence sur soi et sur autrui, des fugues.
L’utilisation d’un guide d’entretien psychosocial type HEAADSSSS est très utile (tableau 43.1).
Tableau 43.1. Guide d’entretien psychosocial : HEAADSSSSS.
Habitation (Home) | Conditions de vie familiale |
École (Education) | Scolarité, difficultés, projets |
Alimentation (Eating) | Recherche de TCA |
Activités (Activities) | Relations avec les pairs, activités extrascolaires, usages d’internet |
Drogues (Drugs) | Consommation de toxiques, alcool, tabac |
Sexualité (Sexuality) | Relations amoureuses, sexuelles, prévention des IST et grossesse |
Suicide | Idées suicidaires, antécédents de TS, signes de dépression |
Sécurité, sévices subis (Safety) | Recherche de violences physiques, verbales, sexuelles, sur internet, de traumatismes familiaux |
Symptômes flous (Sleep) | Douleurs abdominales, céphalées, insomnie |
Suivis | Médecin traitant, psychologue, psychiatre, éducateur, juge… |
D’après : Goldenring J., Rosen D. Getting into adolescent heads: An essential update. Contemporary Pediatrics 2004;21:64
B. Prévention secondaire
C’est la prise en charge du risque suicidaire avant sa concrétisation en acte.
Dès l’idéation suicidaire, la prise en charge doit être organisée à partir du premier médecin ou professionnel de santé qui a recueilli la plainte de l’adolescent. Cela nécessite une formation suffisante et une connaissance du réseau local d’aide et de soins pour les adolescents (réseau local propre, services de santé mentale, Maisons des adolescents, etc.).
Les moyens de prise en charge sont les mêmes qu’après une TS mais la mobilisation familiale est souvent moins forte qu’en cas de TS.
C. Prévention tertiaire
C’est éviter le risque de récidive après un geste suicidaire et donc le risque de mortalité par suicide à court ou moyen terme.
Cela nécessite une évaluation globale de l’adolescent et de la famille pour mise en place d’un projet de soins.
L’adolescent doit avoir à sa disposition un plan de sécurité qui comprend entre autres le numéro national de prévention du suicide (31 14) et un rendez-vous fixé avec un professionnel.
La prise en charge du risque suicidaire est un enjeu de santé publique.
Le modèle d’interview HEAADSSSS est important à connaître, à bien maîtriser et à pratiquer pour tout adolescent.
Références
![]() |
HAS. Idées et conduites suicidaires chez l’enfant et l’adolescent. 2021. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3289482/fr/idees-et-conduites-suicidair… |