Intoxications aiguës

Texte

 

ITEM 337 Principales intoxications aiguës

  • Diagnostiquer une intoxication par les psychotropes, les antalgiques opioïdes, le paracétamol, les médicaments cardiotropes, le CO, l'alcool.
  • Connaître l'épidémiologie des intoxications chez l'enfant.
  • Identifier les situations d'urgence et planifier leur prise en charge pré-hospitalière et hospitalière.

 

Avant de commencer…

Ce chapitre aborde les spécificités pédiatriques des situations d'intoxications : particularités épidémiologiques (âge, produits ingérés, circonstances), repérage précoce des signes d'appel souvent peu spécifiques, orientation optimale et premières mesures thérapeutiques.

Deux situations fréquentes seront détaillées : l'intoxication au CO et l'intoxication au paracétamol, pour illustrer l'importance de la prise en charge pré-hospitalière et hospitalière.

 

I. Épidémiologie

A. L'enfant

Les intoxications constituent la seconde cause d'accidents de la vie courante chez l'enfant après les traumatismes et devant les brûlures.

La mortalité infantile par intoxication accidentelle est encore aujourd'hui de 10 à 12 cas par an, essentiellement dans la tranche d'âge des 1 à 4 ans.

 

B. Les produits ingérés

Les produits le plus fréquemment en cause sont répertoriés dans le tableau 69.1.

Tableau 69.1. Produits en cause les plus fréquents.
Médicaments (60 %)
  • Benzodiazépines, analgésiques, antihistaminiques, fluor, œstroprogestatifs, antipyrétiques, antitussifs, décongestionnants
  • Antihypertenseurs, antiarythmiques, neuroleptiques
Produits ménagers (25 %)
  • Produits javellisant et eau de Javel, liquides vaisselle, produits de lessive
  • Produits caustiques
Produits cosmétiques (5–10 %)

 

Environnement
  • Monoxyde de carbone (chauffe-eau mal réglé, chauffage d'appoint)
  • Alcool, tabac
  • Métaux lourds
Produits végétaux
  • Champignons, baies, plantes

 

Le produit ingéré accidentellement par le jeune enfant est le plus souvent unique (mais pas toujours) ; alors que l'intoxication volontaire de l'adolescent (plus fréquente chez la fille) est volontiers polymédicamenteuse.
Une particularité pédiatrique réside aussi dans le fait que certains produits sont particulièrement dangereux à des posologies faibles (inhibiteurs calciques, clonidine, tricycliques, opiacés, salicylés, sulfamides hypoglycémiants).

 

C. Les circonstances

Le tableau 69.2 situe les principales circonstances identifiées. 
Le mode d'intoxication est accidentel entre les âges de 1 et 8 ans et plutôt intentionnel après l'âge de 10 ans. Avant 1 an, une erreur d'administration d'un médicament commise par un parent représente 25 % des cas d'intoxications (erreur de dose, médicament inapproprié).
Dans notre cadre professionnel, il est essentiel de prendre en compte les possibles intoxications médicamenteuses iatrogènes.
 

Tableau 69.2. Principales circonstances d'intoxication.
Entourage
  • Surveillance insuffisante de l'enfant malgré la présence d'un adulte à proximité immédiate (ce qui évite l'ingestion de grandes quantités de produit)
  • Mode de garde hors du domicile habituel : amis ou grands-parents
Contexte
  • Horaires : 11–13 h et 18–20 h (préparation des repas)
  • Pièces à risque : cuisine, salle de bains et toilettes pour les produits ménagers ; salle de bains, chambres avec sacs à main sur le sol, tiroirs de toutes pièces à la portée de l'enfant pour les médicaments
Conditionnement
  • Absence de rangement des produits ménagers, avant, pendant ou après utilisation
  • Transvasement d'un nettoyant dans un récipient à usage alimentaire
  • Produits d'entretien parfumés, colorés qui attirent l'attention de l'enfant
Intoxication = deuxième cause d'accident de la vie courante chez l'enfant.
Interroger à propos de la liste des médicaments disponibles au domicile.

 

II. Prise en charge d'une intoxication chez l'enfant

A. Identifier les situations d'urgence

La majorité des intoxications accidentelles sont bénignes et le plus souvent asymptomatiques.
Dans plus de 60 % des cas, les situations sont gérées au téléphone par les centres antipoison et les enfants ne requièrent pas de consultation médicale.

Face à une intoxication supposée, il est indispensable d'identifier des signes évocateurs de décompensation respiratoire, hémodynamique et/ou neurologique. La séquence ABCDE (« A » = Airways : voies aériennes, « B » = Breath : respiration, « C » = Circulation : circulation, « D » = Disability : état neurologique, « E » = Exposure : environnement) permet une évaluation systématique du patient et contribue à la prévention d'une décompensation cardiorespiratoire à l'origine d'un possible arrêt cardiaque (voir chapitre 65).

L'intoxication est connue : la prise en charge ambulatoire ou hospitalière conduira à adopter le schéma le plus opportun le plus rapidement possible, aidé par le centre antipoison.
L'intoxication n'est pas connue : garder à l'esprit la possibilité d'une intoxication aiguë devant des symptômes inexpliqués brutaux (somnolence, syndrome cérébelleux) et les très rares intoxications cachées. Passer du temps à interroger la famille. Regarder dans la bouche de l'enfant s'il existe des traces suspectes (sentir, observer dents et lèvres).

 

B. Planifier la prise en charge

Règles de base devant une intoxication chez l'enfant :

  • avant toute action : appeler le centre antipoison ;
  • ne rien faire boire, ne pas faire vomir ;
  • tenir compte de la dose la plus élevée possible qu'a pu prendre l'enfant ;
  • toujours se méfier d'un autre produit non identifié.

Selon les situations, des prélèvements de sang et d'urines seront adressés au laboratoire de toxicologie, avec une fiche de renseignements.

 

C. Prévention

  • Rangement des produits d'entretien et des médicaments hors de portée des enfants.
  • Conditionnements pédiatriques, emballage unitaire des médicaments.
  • Généralisation des fermetures sécurisées pour les produits caustiques.
  • Distinction des conditionnements pour les aliments et les produits ménagers.
Somnolence, syndrome cérebelleux chez l'enfant : évoquer une intoxication.
Avis du centre antipoison. Connaître le poids de l'enfant.
Toujours rappeler à la famille les mesures de prévention des accidents domestiques.

 

III. Points clés à propos de certaines causes

A. Intoxication au CO

1. Généralités

L'intoxication au CO (8 000 cas annuels, dont près de 20 % d'enfants) représente la première cause de décès par intoxication en France.

Deux mécanismes contribuent à la toxicité :

  • l'hypoxie, secondaire à la formation de carboxyhémoglobine (HbCO) ;
  • une réaction immunologique et inflammatoire par effet inhibiteur direct lié à la fixation du CO sur certaines hémoprotéines.

 

2. Diagnostic

À évoquer sur des signes d'appel peu spécifiques :

  • céphalées, nausées, vertiges, ataxie ;
  • asthénie, pâleur et agitation chez le nourrisson ;
  • convulsions, malaise précédé de vomissements, trouble de la conscience ;
  • chez plusieurs membres de l'entourage ;
  • à proximité d'une source identifiée de CO, dans la salle de bains ou un garage.

 

3. Prise en charge

Au domicile :

  • appel du 15, envoi d'une équipe médicalisée avec dispositif de détection du CO ;
  • aération des pièces.

À l'arrivée des secours :

  • approche « ABCDE » systématique ;
  • mise en condition :
    • scope, SpO2 (chiffre sans valeur dans cette intoxication) ;
    • pose d'une voie veineuse périphérique ;
  • oxygénothérapie immédiate :
    • masque à haute concentration (> 8 litres/min) systématique ;
    • ou intubation/ventilation si troubles de conscience (FiO2100 %) ;
  • examens complémentaires :
    • prélèvement biologique pour HbCO le plus précoce possible ;
    • ECG.

Évaluation médicale :

  • recherche des signes de gravité :
    • troubles de conscience avec trismus, convulsions ;
    • HTA, hyperthermie, tachycardie ;
    • détresse respiratoire ;
    • signes ECG : trouble du rythme ou de la repolarisation ;
  • identification de facteurs aggravants :
    • intoxication aux fumées d'incendie ;
    • lésions traumatiques associées ;
    • perte de connaissance ;
    • HbCO > 15 %.

Prise en charge hospitalière :

  • transport médicalisé ;
  • poursuite de l'oxygénothérapie au masque pendant au moins 12 heures ;
  • ECG (si non fait), gaz du sang.

Indications d'une oxygénothérapie hyperbare (larges chez l'enfant) :

  • perte de connaissance même brève ;
  • troubles de la conscience, convulsions, signes neurologiques objectifs ;
  • troubles du rythme cardiaque.

Suivi neurologique à 1 mois systématique :

  • possibilité d'un syndrome post-intervallaire entre 2 et 40 jours :
    • troubles de l'humeur et/ou du comportement, troubles du sommeil ;
    • céphalées chroniques, crises convulsives ;
  • séquelles possibles : troubles cognitifs, trouble de la mémoire, céphalées intermittentes.
Malaise et symptômes dans l'entourage : toujours évoquer une intoxication au CO.
Prise en charge : oxygénothérapie au masque et suivi neurologique systématiques.

 

B. Intoxication au paracétamol

1. Généralités

Le paracétamol est le traitement antipyrétique et antalgique le plus prescrit chez l'enfant, d'où sa grande disponibilité au domicile.

Le paracétamol est métabolisé par le foie en métabolites conjugués non toxiques. Environ 5 à 10 % du paracétamol sont oxydés par le cytochrome P450 en un métabolite appelé NAPQI, toxique mais inactivé en situation physiologique par le glutathion.
À doses toxiques, la fonction protectrice du glutathion est débordée et le NAPQI dénature les protéines de l'hépatocyte, induisant une hépatite centrolobulaire.

 

2. Diagnostic

La dose toxique théorique est, pour une dose ingérée unique, supérieure à 150 mg/kg chez l'enfant d'âge ≥ 6 ans ou à 200 mg/kg chez l'enfant d'âge < 6 ans.

Un surdosage non pris en charge conduit à une évolution en deux phases :

  • phase initiale (jusqu'à H6) paucisymptomatique : signes digestifs non spécifiques (vomissements, hépatalgie) ;
  • phase secondaire (début après H12, maximale à H48) : majoration des signes digestifs, neurologiques et désordres biologiques (transaminases, coagulation).

Moins de 1 % des enfants intoxiqués développent une hépatite fulminante.

 

3. Prise en charge

Dès le début de prise en charge :

  • approche « ABCDE » systématique ;
  • mise en condition et surveillance régulière.

Le traitement spécifique repose sur la reconstitution des stocks hépatiques de glutathion par l'administration d'un précurseur : la N-acétylcystéine (NAC), par voie orale ou intraveineuse. La durée du traitement est de 48 heures en IV, 72 heures en per os, en cas d'intoxication avérée par les dosages sanguins, interprétés selon le nomogramme de Rumack-Matthew.

Indications pratiques de la NAC :

  • à l'arrivée de l'enfant :
    • s'il existe une forte suspicion d'intoxication au paracétamol ;
    • si l'ingestion est antérieure à 8 heures ;
    • si la dose ingérée estimée est supérieure à 150 mg/kg ;
    • en cas d'intoxication polymédicamenteuse ;
    • en présence de signes cliniques et/ou biologiques de toxicité ;
  • en fonction de la paracétamolémie après la 4e heure dans toutes les autres situations, en se référant au normogramme (fig. 69.1).
nomogramme
Fig. 69.1. Nomogramme de Rumack-Matthew.
 
Dose toxique théorique chez l'enfant = dose ingérée unique > 150 à 200 mg/kg en fonction de l'âge.
Prise en charge urgente : N-acétylcystéine, réévaluation en fonction de la paracétamolémie à H4.