Objectifs pédagogiques
- Diagnostiquer une intoxication par les psychotropes, les antalgiques opioïdes, le paracétamol, les médicaments cardiotropes, le CO, l’alcool.
- Connaître l’épidémiologie des intoxications chez l’enfant.
- Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge pré-hospitalière et hospitalière.
Avant de commencer…
Ce chapitre aborde les spécificités pédiatriques des situations d’intoxications : particularités épidémiologiques (âge, produits ingérés, circonstances), repérage précoce des signes d’appel souvent peu spécifiques, orientation optimale et premières mesures thérapeutiques.
Deux situations fréquentes seront détaillées : l’intoxication au CO et l’intoxication au paracétamol, pour illustrer l’importance de la prise en charge pré-hospitalière et hospitalière.
I. Épidémiologie
A. L’enfant
Les intoxications constituent la seconde cause d’accidents de la vie courante chez l’enfant après les traumatismes et devant les brûlures.
La mortalité infantile par intoxication accidentelle est encore aujourd’hui de 10 à 12 cas par an, essentiellement dans la tranche d’âge des 1 à 4 ans.
B. Les produits ingérés
Les produits le plus fréquemment en cause sont répertoriés dans le tableau 69.1.
Le produit ingéré accidentellement par le jeune enfant est le plus souvent unique (mais pas toujours) ; alors que l’intoxication volontaire de l’adolescent(e) (plus fréquente chez la fille) est volontiers polymédicamenteuse. Certaines intoxications sont iatrogènes (surdosage médicamenteux).
Une particularité pédiatrique réside aussi dans le fait que certains produits sont particulièrement dangereux à des posologies faibles (inhibiteurs calciques, clonidine, tricycliques, opiacés, salicylés, sulfamides hypoglycémiants).
Tableau 69.1. Produits en cause les plus fréquents.
Médicaments (60 %) |
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Produits ménagers (25 %) |
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Produits cosmétiques (5–10 %) | |
Environnement |
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Stupéfiants |
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Produits végétaux |
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C. Les circonstances
Le tableau 69.2 situe les principales circonstances identifiées.
Le mode d’intoxication est accidentel entre les âges de 1 et 8 ans et plutôt intentionnel après l’âge de 10 ans. Avant 1 an, une erreur d’administration d’un médicament commise par un parent représente 25 % des cas d’intoxications (erreur de dose, médicament inapproprié).
Dans notre cadre professionnel, il est essentiel de prendre en compte les possibles intoxications médicamenteuses iatrogènes.
Tableau 69.2. Principales circonstances d’intoxication.
Entourage |
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Circonstances |
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Conditionnement |
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Intoxication = deuxième cause d’accident de la vie courante chez l’enfant.
Interroger à propos de la liste des médicaments disponibles au domicile.
II. Prise en charge d’une intoxication chez l’enfant
A. Identifier les situations d’urgence
(exposition).
Dans plus de 60 % des cas, les situations sont gérées au téléphone par les centres antipoison et les enfants ne requièrent pas de consultation médicale.
Face à une intoxication supposée, il est indispensable d’identifier des signes évocateurs de décompensation respiratoire, hémodynamique et/ou neurologique. La séquence ABCDE (« A » = Airways : voies aériennes, « B » = Breath : respiration, « C » = Circulation : circulation, « D » = Disability : état neurologique, « E » = Exposure : environnement) permet une évaluation systématique du patient et contribue à la prévention d’une décompensation cardiorespiratoire à l’origine d’un possible arrêt cardiaque (voir chapitre 65).
L’intoxication est connue : la prise en charge ambulatoire ou hospitalière conduira à adopter le schéma le plus opportun le plus rapidement possible, aidé par le centre antipoison.
L’intoxication n’est pas connue : garder à l’esprit la possibilité d’une intoxication aiguë devant des symptômes inexpliqués brutaux (notamment neurologique : malaise, somnolence, coma, convulsions, syndrome cérébelleux), des troubles du rythme inexpliqués, une acidose métabolique sans autre cause, un décès inattendu (dont MIN). Passer du temps à interroger la famille. Regarder dans la bouche de l’enfant s’il existe des traces suspectes (sentir, observer les dents et lèvres). Y penser en cas de manifestations collectives.
B. Planifier la prise en charge
Règles de base devant une intoxication chez l’enfant :
- avant toute action : appeler le centre antipoison ;
- ne rien faire boire, ne pas faire vomir ;
- tenir compte de la dose la plus élevée possible qu’a pu prendre l’enfant ;
- toujours se méfier d’un autre produit non identifié.
Selon les situations, des prélèvements de sang et d’urines voire de cheveux ou de phanères seront adressés au laboratoire de toxicologie, avec une fiche de renseignements.
Selon le toxique ingéré, un antidote peut être disponible.
C. Prévention
- Rangement des produits d’entretien et des médicaments hors de portée des enfants.
- Conditionnements pédiatriques, emballage unitaire des médicaments.
- Généralisation des fermetures sécurisées pour les produits caustiques.
- Distinction des conditionnements pour les aliments et les produits ménagers.
Malaise, somnolence, coma, épisode de convulsions, syndrome cérebelleux, coma chez l’enfant : évoquer une intoxication.
Avis du centre antipoison. Connaître le poids de l’enfant.
Toujours rappeler à la famille les mesures de prévention des accidents domestiques.
III. Points clés à propos de certaines causes
A. Intoxication au CO
1. Généralités
L’intoxication au CO (8 000 cas annuels, dont près de 20 % d’enfants) représente la première cause de décès par intoxication en France.
2. Diagnostic
À évoquer sur des signes d’appel peu spécifiques :
- céphalées, nausées, vertiges, ataxie ;
- asthénie, pâleur et agitation chez le nourrisson ;
- convulsions, malaise précédé de vomissements, trouble de la conscience ;
- chez plusieurs membres de l’entourage ;
- à proximité d’une source identifiée de CO, dans la salle de bains ou un garage.
3. Prise en charge
Au domicile :
- appel du 15, envoi d’une équipe médicalisée avec dispositif de détection du CO ;
- aération des pièces.
À l’arrivée des secours :
- approche « ABCDE » systématique ;
- mesure du CO expiré (à partir de 8 ans) ;
- mise en condition :
- scope, SpO2 (chiffre sans valeur dans cette intoxication) ;
- pose d’une voie veineuse périphérique ;
- oxygénothérapie immédiate :
- masque à haute concentration (> 8 litres/min) systématique, quelle que soit la SpO2 ;
- ou intubation/ventilation si troubles de conscience (FiO2 100 %) ;
Évaluation médicale :
- recherche des signes de gravité :
- troubles de conscience avec trismus, comas, convulsions ;
- HTA, hyperthermie, tachycardie ;
- détresse respiratoire ;
- signes ECG : trouble du rythme ou de la repolarisation ;
- identification de facteurs aggravants :
- intoxication aux fumées d’incendie ;
- grossesse en cours (adolescente) ;
- lésions traumatiques associées ;
- perte de connaissance ;
- HbCO > 15 %.
Prise en charge hospitalière :
- transport médicalisé ;
- poursuite de l’oxygénothérapie au masque pendant au moins 12 heures ;
- ECG (si non fait), gaz du sang ;
- dosage des enzymes cardiaques (troponine) à partir de 8 ans ;
- dosage des -hCG chez l’adolescente pubère.
Indications d’une oxygénothérapie hyperbare, en urgence avant H6 :
- perte de connaissance même brève ;
- troubles de la conscience, convulsions, anomalies de l’examen neurologique ;
- défaillance cardiocirculatoire, troubles du rythme cardiaque, anomalies ECG ;
- persistance des symptômes initiaux malgré 90 minutes sous O2 normobare ;
- grossesse.
Suivi neurologique à 1 mois systématique :
- possibilité d’un syndrome post-intervallaire entre 2 et 40 jours (rarissime chez l’enfant non pubère) :
- troubles de l’humeur et/ou du comportement, troubles du sommeil ;
- céphalées chroniques, crises convulsives ;
- séquelles possibles : troubles cognitifs, trouble de la mémoire, céphalées intermittentes.
Malaise et/ou céphalées et symptômes dans l’entourage : toujours évoquer une intoxication au CO.
Prise en charge : oxygénothérapie au masque et suivi neurologique systématiques.
B. Intoxication au paracétamol
1. Généralités
Le paracétamol est le traitement antipyrétique et antalgique le plus prescrit chez l’enfant, d’où sa grande disponibilité au domicile.
Le paracétamol est métabolisé par le foie en métabolites conjugués non toxiques. Environ 5 à 10 % du paracétamol sont oxydés par le cytochrome P450 en un métabolite appelé NAPQI, toxique mais inactivé en situation physiologique par le glutathion.
À doses toxiques, la fonction protectrice du glutathion est débordée et le NAPQI dénature les protéines de l’hépatocyte induisant une hépatite centrolobulaire. Le risque toxique est plus élevé chez le grand enfant et l’adolescent par saturation de la glycuronoconjugaison, comparé au nourrisson (sulfoconjugaison plus développée).
2. Diagnostic
La dose toxique théorique est, pour une dose ingérée unique, supérieure à 150 mg/kg chez l’enfant d’âge ≥ 6 ans (voire 100 mg/kg en cas de facteurs de risque ou autre médicament ingéré) ou à 250 mg/kg chez l’enfant d’âge < 6 ans en l’absence d’atteinte hépatique antérieure connue.
Un surdosage non pris en charge conduit à une évolution en deux phases :
- phase initiale (jusqu’à H6) paucisymptomatique : signes digestifs non spécifiques (vomissements, hépatalgie) ;
- phase secondaire (début après H12, maximale à H48) : majoration des signes digestifs, neurologiques et désordres biologiques (transaminases, coagulation).
Moins de 1 % des enfants intoxiqués développent une hépatite fulminante.
Le dosage biologique doit idéalement être effectué à H4 de la prise médicamenteuse (H2 pour les formes liquides chez le jeune enfant). Un bilan hépatique complet avec TP et un dosage de la fonction rénale doivent être réalisés.
3. Prise en charge
Dès le début de prise en charge :
- approche « ABCDE » systématique ;
- mise en condition et surveillance régulière.
Le traitement spécifique repose sur la reconstitution des stocks hépatiques de glutathion par l’administration d’un précurseur : la N-acétylcystéine (NAC), par voie orale ou intraveineuse.
L’indication de son administration dépend du délai post-ingestion :
- en cas d’ingestion inférieure à 8 heures : la NAC est administrée après l’obtention de la paracétamolémie et la vérification qu’elle se situe en zone toxique sur le nomogramme de Rumack-Matthew :
- âge < 6 ans, cas d’une dose ingérée toxique (≥ 250 mg/kg) :
- paracétamolémie à H2 de la prise (forme liquide) ou H4 sinon ;
- si paracétamolémie à H2 > 225 µg/ml ou si paracétamolémie en zone toxique à H4 sur le nomogramme : commencer le protocole NAC ;
- âge ≥ 6 ans, cas d’une dose ingérée toxique (≥ 150 mg/kg) :
- si enfant vu avant H2 par rapport à la prise : charbon activé ;
- si paracétamolémie en zone toxique à H4 sur le nomogramme : commencer le protocole NAC ;
- si poly-intoxication avec inducteurs enzymatiques associés : commencer le protocole NAC jusqu’au résultat de la paracétamolémie de H4 et si la paracétamolémie est non toxique, stopper la NAC ;
- en cas d’ingestion supérieure à 8 heures ou d’heure inconnue : commencer le protocole NAC dans tous les cas et l’arrêter si la paracétamolémie, faite entre H4 et H15, est en zone non toxique sur le nomogramme.
La NAC doit être poursuivie tant que la paracétamolémie est en zone toxique (par rapport à l’heure de prélèvement) et/ou que persiste une augmentation des transaminases hépatiques.
La durée du traitement est de 21 ou 48 heures en IV selon les schémas, 72 heures en per os, en cas d’intoxication avérée par les dosages sanguins, interprétés selon le nomogramme.
Dose toxique théorique chez l’enfant = dose ingérée unique > 150 à 250 mg/kg en fonction de l’âge.
Prise en charge urgente : N-acétylcystéine, réévaluation en fonction de la paracétamolémie à H4.