Otites

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ITEM 150 Otites infectieuses de l'adulte et de l'enfant

  • Connaître les agents infectieux responsables de l'otite moyenne aiguë (OMA) et leur profil de sensibilité.
  • Connaître les éléments diagnostiques et la stratégie de prise en charge d'une OMA purulente, d'une otite externe, d'une otite séromuqueuse.
  • Connaître le traitement approprié, antibiotique et/ou symptomatique, d'un patient présentant une OMA purulente en première intention et en cas d'échec.

 

Avant de commencer…

L'OMA (otite moyenne aiguë) purulente est le point clé de cet item en pédiatrie.
Il s'agit de l'infection bactérienne la plus fréquente chez le nourrisson, compliquant souvent les rhinopharyngites (à distinguer de l'otite congestive également fréquemment associée à celles-ci).

Le diagnostic d'OMA purulente est :
• suspecté essentiellement sur l'otalgie :
   – exprimée directement par les enfants les plus âgés ;
   – manifestée par des cris inhabituels, des troubles du sommeil chez les nourrissons ;
• associé à des signes généraux (fièvre, parfois signes digestifs) ;
• confirmé par l'examen otoscopique : congestion + épanchement (extériorisé ou non).

L'antibiothérapie est systématique au cours des OMA purulentes chez l'enfant d'âge < 2 ans, ainsi que chez l'enfant plus âgé en cas de symptomatologie bruyante (otalgie intense, fièvre élevée).

 

I. Pour bien comprendre

A. Définitions

1. Otalgie

Une otalgie caractérise une douleur localisée à l'oreille.
Elle n'est pas toujours liée à une affection de l'oreille : otalgie réflexe suite à une pathologie buccopharyngée (pharyngite, angine, poussée dentaire), bouchon de cérumen.
Le terme d'otodynie est utilisé lorsque l'otalgie est liée à une affection de l'oreille (moyenne, externe).

 

2. Otorrhée

Une otorrhée est un écoulement de liquide clair ou purulent provenant du conduit auditif externe, témoin d'une affection de l'oreille, le plus souvent d'origine infectieuse, telles qu'une otite externe ou une otite moyenne avec perforation du tympan.

 

3. Otite

Une otite est une inflammation aiguë ou chronique de l'oreille.

L'otite externe est une infection de la peau du conduit auditif externe (pustules, furoncle, croûtes ou rougeur).

L'otite congestive est définie par une congestion tympanique (inflammation avec rougeur, hypervascularisation) sans épanchement de l'oreille moyenne. Elle est bénigne, le plus souvent d'origine virale, souvent associée à une rhinopharyngite (voir chapitre 30), d'évolution spontanément résolutive mais aussi susceptible d'évoluer vers un tableau d'OMA purulente.

L'otite moyenne aiguë (OMA) purulente correspond à une surinfection bactérienne de l'oreille moyenne, avec épanchement rétrotympanique purulent (extériorisé avec otorrhée suite à une perforation tympanique, ou non extériorisé). Le caractère aigu est lié à la brutalité du début de la symptomatologie.

L'otite séromuqueuse (OSM) est caractérisée par un épanchement rétrotympanique sans inflammation tympanique observé à deux reprises et à au moins 3 mois d'intervalle.

Toute otalgie n'est pas une otite. Toute otite n'est pas purulente.

 

B. Épidémiologie des OMA purulentes

Le pic d'incidence des OMA purulentes se situe entre les âges de 6 et 24 mois.

Les deux principales bactéries responsables des OMA purulentes du nourrisson :

  • Streptococcus pneumoniae (pneumocoque) ;
  • Haemophilus influenzae non typable.

La vaccination pneumococcique conjuguée à 13 valences des nourrissons a fortement contribué à réduire les OMA purulentes liées aux sérotypes de pneumocoques inclus dans ce vaccin ainsi que les otites complexes ou récidivantes.
Remarque : Le vaccin capsulaire conjugué anti-Haemophilus influenzae b (Hib, contenu dans le vaccin hexavalent) n'a aucune activité contre les souches d'Haemophilus influenzae non capsulés responsables des OMA.

Le rôle pathogène de Moraxella catarrhalis dans l'OMA est très discuté.
Les virus respiratoires sont aussi très souvent en cause, soit isolément soit en association avec des bactéries.

Germes de l'OMA purulente : pneumocoque, Haemophilus influenzae non typable, virus.

 

C. Physiopathologie

L'inflammation du rhinopharynx dans un contexte de rhinopharyngite virale est responsable d'un trouble de la perméabilité tubaire et, ainsi, d'une dépression de l'oreille moyenne, avec inflammation de la muqueuse de l'oreille moyenne responsable de l'otite congestive.
L'OMA purulente est une surinfection bactérienne de l'oreille moyenne par contiguïté avec la trompe auditive (trompe d'Eustache).

 

II. Diagnostiquer une otite

A. Diagnostic clinique

1. Suspicion sur des signes d'appel

Signes d'appel en fonction des types d'otite : tableau 32.1.

Tableau 32.1. Signes d'appel en fonction des types d'otite.
Otite congestive et OMA purulente
  • Mode de début brutal
  • Signes fonctionnels :
  • otalgie exprimée (à partir de l'âge de 3 ans)
  • et/ou équivalents : irritabilité, pleurs, insomnie (nourrisson)
  • Signes généraux :
  • fièvre, réduction de l'appétit
  • ± vomissements alimentaires, selles liquides, douleurs abdominales
Otite séromuqueuse
  • Hypoacousie :
  • non-réponse à l'appel, pauvreté du langage
  • volume sonore de la télévision, difficultés scolaires
  • Apyrexie
Otite externe
  • Otalgie
  • Otorrhée
  • Apyrexie

 

2. Confirmation par l'examen otoscopique

Modalités techniques

Seul un examen otoscopique de bonne qualité permet à lui seul d'affirmer le diagnostic d'otite et de différencier les différents types d'otite (fig. 32.1). Cet examen doit débuter à titre de référence par l'oreille présumée saine.
Dans l'otite externe, l'otalgie est provoquée à la palpation du tragus ou lors de la traction du pavillon de l'oreille. L'introduction de l'ostoscope est souvent douloureuse.

Éléments de sémiologie à analyser lors de l'otoscopie :

  • l'aspect de la membrane tympanique :
    • quasi transparente, de coloration grisée = aspect normal (fig. 32.2) ;
    • inflammatoire, intacte ou perforée = aspect pathologique ;
  • le relief du manche du marteau visualisé en son milieu oblique en bas et en arrière ; avec à sa pointe inférieure :
    • le triangle lumineux (reflet de la lumière de l'otoscope sur la membrane ) ;
    • ce qu'on peut deviner de l'oreille moyenne (éventuel épanchement liquidien, purulent…).
otoscopie
Fig. 32.1. Otoscopie légendée (tympan droit).
 
tympan
Fig. 32.2. Tympan droit normal.

(Réimprimé à partir de : Leboulanger N. Otite séreuse, quelle prise en charge ? Perfectionnement en Pédiatrie, 2018;1(2):108–12.)

 

Aspects otoscopiques des otites

Le diagnostic d'otite congestive (fig. 32.3) correspond à un aspect inflammatoire du tympan (hypervascularisation, à différencier d'une hyperémie transitoire du tympan en cas de fièvre ou de pleurs) sans épanchement rétrotympanique.

Le diagnostic d'OMA purulente (fig. 32.4) est porté sur un aspect inflammatoire du tympan avec épanchement rétrotympanique, extériorisé (otorrhée) ou non extériorisé avec collection (opacité rétrotympanique, effacement des reliefs et/ou bombement du tympan, disparition du triangle lumineux).

Le diagnostic d'otite séromuqueuse (fig. 32.5) est porté devant un épanchement rétrotympanique sans inflammation franche, donnant un aspect caractéristique avec un tympan ambré, mat et rétracté, associé à un niveau liquidien.

Le diagnostic d'otite externe est confirmé devant un aspect inflammatoire, très douloureux et œdématié du conduit auditif externe, souvent recouvert de sécrétions purulentes peu abondantes, rendant le tympan difficile à visualiser.

congestive
Fig. 32.3. Otite congestive droite.

 

purulente
Fig. 32.4. OMA purulente droite.

 

séromuqueuse
Fig. 32.5. Otite séromuqueuse droite avec tympan opaque à peine rétracté, petites granulations jaunâtres.

(Réimprimé à partir de : Leboulanger N. Otite séreuse, quelle prise en charge ? Perfectionnement en Pédiatrie, 2018;1(2):108–12.)

 

3. Synthèse

Une synthèse des types d'otites à l'otoscopie est proposée tableau 32.2.

Caractéristiques cliniques reliées préférentiellement à certaines bactéries :

  • otite hyperalgique et hyperthermique (≥ 39 °C) → pneumocoque ;
  • syndrome otite-conjonctivite (SOC) purulente → H. influenzae non typable.
Tableau 32.2. Tableau comparatif des différents types d'otites.

 

Inflammation tympanique Épanchement rétrotympanique Otorrhée
Otite congestive + Non Non
OMA purulente + Oui : abondant et opaque Oui (si perforation tympanique) : purulente
Otite séromuqueuse Oui : abondant et clair Non, sauf si aérateurs transtympaniques
Otite externe Non Otoscopie difficile car sécrétions abondantes Oui : abondante
Paramètres : signes fonctionnels, inflammation et épanchement tympaniques (otoscopie), otorrhée.

 

B. Enquête paraclinique

1. Généralités

Le diagnostic d'otite est clinique et est confirmé par l'examen otoscopique.
Aucun examen complémentaire n'est nécessaire en cas d'OMA purulente non compliquée.

 

2. Indications d'explorations complémentaires

Paracentèse

La paracentèse (ou myringotomie) est une technique pouvant permettre l'évacuation d'un épanchement rétrotympanique et l'analyse de son contenu (identification d'une bactérie et évaluation de sa résistance).

Son indication est devenue exceptionnelle et ne concerne que les OMA purulentes collectées, dans certains contextes :

  • terrain particulier (écologie bactérienne spécifique) : âge ≤ 3 mois, immunosuppression ;
  • deuxième échec thérapeutique d'une antibiothérapie bien conduite ;
  • complication : mastoïdite, paralysie faciale ;
  • OMA purulente hyperalgique résistant à un traitement antalgique bien conduit.
Imagerie

Seules les complications d'une OMA purulente peuvent justifier une imagerie.

Explorations fonctionnelles auditives

Elles ne sont utiles qu'en cas d'otite séromuqueuse (voir chapitre 4).

Explorations complémentaires : rarement indiquées.

 

III. Argumenter l'attitude thérapeutique et planifier le suivi de l'enfant

A. Orientation

Il s'agit d'une pathologie le plus souvent bénigne, de prise en charge en ambulatoire.
Les indications d'hospitalisation sont restreintes aux formes compliquées.

Un avis spécialisé ORL est rarement nécessaire sauf si :

  • deuxième échec d'un traitement antibiotique (paracentèse à visée bactériologique) ;
  • complications locorégionales (très rares) ;
  • otite séromuqueuse compliquée d'un retentissement auditif ou d'un cholestéatome.

 

B. Antibiothérapie

1. Généralités

 Les otites congestives, les otites séromuqueuses et les otites externes ne requièrent pas d'antibiothérapie par voie générale.

L'antibiothérapie locale est limitée aux otites externes, aux otites chroniques sur tympan ouvert et aux otorrhées purulentes sur aérateurs transtympaniques. Elle consiste en l'administration d'une solution auriculaire d'ofloxacine pour une durée de 7 jours. Les préparations contenant des aminosides sont contre-indiquées en cas de perforation tympanique suspectée ou confirmée (ototoxicité).
Il n'y a pas de recommandation d'antibiothérapie locale en cas d'OMA purulente perforée.

 

2. Recommandations actuelles pour l'OMA purulente

Qui traiter ?

L'antibiothérapie générale est indiquée en cas d'OMA purulente :

  • chez l'enfant d'âge < 2 ans : systématiquement ;
  • chez l'enfant d'âge ≥ 2 ans : en cas de symptomatologie bruyante = otalgie intense, fièvre élevée, perforation spontanée (otorrhée).

Chez l'enfant d'âge ≥ 2 ans ayant une OMA purulente non perforée avec symptomatologie modérée, une abstention d'antibiothérapie est licite avec surveillance. La persistance des symptômes sous traitement symptomatique après 48–72 heures d'évolution doit conduire à une nouvelle évaluation clinique et faire rediscuter l'indication d'une antibiothérapie différée.

Comment traiter ?

Les antibiotiques de première intention sont (recommandations 2011) :

  • amoxicilline 80 à 90 mg/kg par jour en trois prises (deux prises à 12 heures d'intervalle si les intervalles d'administration ne peuvent être équidistants) ;
  • amoxicilline + acide clavulanique en trois prises en cas de syndrome otite-conjonctivite (SOC), classiquement dû à Haemophilus influenzae.

En cas d'allergie aux pénicillines (éventualité rare) sans contre-indication aux céphalosporines, il peut être prescrit une des céphalosporines orales : cefpodoxime-proxétil et céfuroxime-axétil.
En cas de contre-indication à l'ensemble des bêtalactamines (éventualité exceptionnelle), il peut être prescrit par défaut soit de l'érythromycine-sulfafurazole soit du cotrimoxazole (sulfaméthoxazole-triméthoprime) avec un risque majoré d'échec thérapeutique lié à ce choix. Le recours à la ceftriaxone IV/IM doit rester exceptionnel (âge < 3 mois, immunosuppression, intolérance digestive totale).

La durée du traitement antibiotique est de :

  • 10 jours chez l'enfant d'âge < 2 ans ;
  • 5 jours chez l'enfant d'âge ≥ 2 ans.
  • 10 jours quel que soit l'âge en cas d'otorrhée ou de situation de rechute d'OMA purulente ( voir p.351).
OMA purulente du nourrisson : antibiothérapie par voie générale pour 10 jours.

 

C. Mesures symptomatiques

Le traitement de l'état fébrile et de l'otalgie repose sur le paracétamol.
En cas de douleur intense, il peut être proposé ponctuellement une prescription d'ibuprofène.

Le traitement symptomatique de la rhinopharyngite (si associée) est nécessaire. Il consiste en une désobstruction rhinopharyngée par lavage des fosses nasales au sérum physiologique et des techniques de mouchage appropriées.

 

D. Suivi d'une OMA purulente

1. Suivi immédiat

La guérison est habituelle en quelques jours.

Le suivi évalue la régression des signes généraux (fièvre) et fonctionnels (otalgie).
En cas d'évolution clinique favorable, le contrôle systématique des tympans en fin de traitement n'est pas nécessaire.
Pour les enfants d'âge ≥ 2 ans chez lesquels une abstention d'antibiotique a été jugée licite, une réévaluation clinique est indispensable en cas de persistance des symptômes à 48–72 heures.

 

2. Échec de l'antibiothérapie initiale, rechute

L'échec du traitement antibiotique probabiliste initial est défini par la persistance ou l'aggravation des symptômes au-delà de 48 heures après le début de l'antibiothérapie.
La rechute est définie par leur réapparition dans les 4 jours suivant la fin de l'antibiothérapie, en association avec des signes otoscopiques d'OMA purulente.

Une complication de l'OMA purulente doit être recherchée à l'examen clinique.
En l'absence de complication, l'antibiothérapie est modifiée selon le choix initial.
En cas de prescription initiale d'amoxicilline (recommandée en première intention), il est proposé de modifier l'antibiothérapie par de l'amoxicilline + acide clavulanique ou cefpodoxime-proxétil (Haemophilus influenzae bêtalactamase (+) très probable).
Le recours à la ceftriaxone IV/IM doit rester rare même dans les situations d'échec (sauf intolérance digestive totale).

Un deuxième échec thérapeutique d'une antibiothérapie bien conduite est une indication à une paracentèse à visée bactériologique (si possible après une fenêtre thérapeutique).

 

3. Complications

Complications locorégionales :

  • mastoïdite extériorisée (fig. 32.6) :
    • décollement du pavillon de l'oreille vers le dehors et vers l'avant ;
    • tuméfaction rétroauriculaire douloureuse et rénitente ;
  • paralysie faciale périphérique (rare) ;
  • labyrinthite, abcès du cerveau, thrombophlébite cérébrale (exceptionnels).

Complications systémiques (plus rares) :

  • bactériémies ;
  • méningites purulentes (surtout chez le jeune nourrisson).
mastoïdite
Fig. 32.6. Mastoïdite.

 

Persistance des symptômes à 48–72 heures → réévaluation clinique.
OMA spontanément perforée restant fébrile et algique : rechercher une mastoïdite débutante.
Redouter l'association OMA purulente et méningite purulente chez le jeune nourrisson.

 

4. Suivi à long terme et pronostic

Les OMA récidivantes (séparées par un intervalle libre) dites OMA complexes, sont liées à la multiplicité des infections virales et surtout à la présence d'un biofilm bactérien source de réinfection bactérienne, en particulier à Haemophilus influenzae non typable.

Cette situation ne constitue que très rarement, à elle seule, une indication à réaliser un bilan immunitaire (voir chapitre 26).
Une carence martiale peut alors être recherchée.
Un avis ORL peut être nécessaire. Ce dernier argumentera en fonction des situations, de l'âge de l'enfant et du retentissement, l'indication éventuelle d'une adénoïdectomie et/ou de la pose d'aérateurs transtympaniques.

 

E. Synthèse

Une synthèse de la prise en charge de l'otite chez l'enfant de plus de 3 mois est présentée figure 32.7 (SPILF, SFP, GPIP, 2011, 2016).

Image
Fig. 32.7. Prise en charge de l'otite chez l'enfant d'âge ≥ 3 mois.

 

Références

HAS. Antibiothérapie des infections respiratoires hautes. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2016-02/dataset__contenu_metier_infections_respiratoires_hautes.pdf. 2015.

SPILF, SFP, GPIP. Antibiothérapie par voie générale en pratique courante dans les infections respiratoires hautes : recommandations. http://www.infectiologie.com/UserFiles/File/medias/Recos/2011-infections-respir-hautes-recommandations.pdf. 2011.

GPIP. Guide de prescription d'antibiotique en pédiatrie. Arch Ped. 2016. ;23:S1. HS 3, 55 https://www.sfmu.org/upload/consensus/arcped_gpip_15_juin_new_couv_bs.pdf