CHAPITRE 26 - Item 189 – Déficits immunitaires héréditaires

Objectif pédagogique

Texte

Connaître les principales situations cliniques et/ou biologiques faisant suspecter un déficit immunitaire chez l’enfant et chez l’adulte.

Texte

Avant de commencer…

Les déficits immunitaires héréditaires (DIH) sont des pathologies génétiques rares.
La majorité d’entre eux se révèlent au cours de l’enfance par des infections, de l’auto-immunité, de l’auto-inflammation, des néoplasies et parfois de l’allergie. Cependant, certains DIH se révèlent plus tardivement à l’âge adulte, en particulier le déficit immunitaire commun variable (DICV).

Le clinicien doit connaître les signes d’alerte devant faire évoquer un DIH.
L’objectif de ce chapitre est de le guider dans sa démarche diagnostique, afin de pouvoir identifier un DIH.

Les déficits immunitaires acquis et les neutropénies ne seront pas abordés car ils nécessitent d’autres analyses spécifiques, hors du champ attendu des objectifs pour cet item. De même, les complications des traitements immunosuppresseurs ne seront pas traitées.
 

I. Pour bien comprendre

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Les déficits immunitaires héréditaires (DIH) sont des maladies rares.
Leur fréquence est estimée à 1 naissance sur 4 000 dans la population générale. Il existe actuellement plus de 500 DIH décrits avec une cause moléculaire identifiée.

La majorité des DIH sont symptomatiques au cours de l’enfance, mais certains peuvent se révéler plus tardivement au cours de l’adolescence et même à l’âge adulte.
 

Le clinicien doit suspecter un DIH chez un enfant ayant des infections récurrentes même banales, des infections sévères et/ou inhabituelles dans leur survenue, leur localisation ou leur évolution. Les autres manifestations à début précoce qui peuvent révéler un DIH sont une auto-immunité, un eczéma sévère, des syndromes lymphoprolifératifs, des néoplasies, de l’allergie.
L’exploration doit être hiérarchisée. Un bilan de première intention avec des examens de dépistage simples (hémogramme, dosage pondéral des immunoglobulines, sérologies post-vaccinales et post-infectieuses) permet d’orienter le diagnostic.
L’analyse conjointe des antécédents infectieux, de l’examen clinique et des résultats des examens de première intention permet de guider la prescription des examens de deuxième intention, qui dépendront du type de DIH suspecté.

Le diagnostic précoce d’un DIH est important car il permet l’instauration d’un traitement adapté et une réduction des complications infectieuses, des atteintes d’organe et du risque de décès.

Infections récurrentes, sévères et/ou inhabituelles rechercher un DIH.
Autres manifestations cliniques à révélation précoce : auto-immunité, cytopénies auto-immunes, eczéma sévère, syndromes lymphoprolifératifs et néoplasies rechercher un DIH.

II. Argumenter le diagnostic de déficit immunitaire héréditaire

A. Circonstances cliniques

1. Conduite de la consultation

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Le médecin doit rechercher en tout premier lieu à l’interrogatoire :

  • des antécédents familiaux de déficit immunitaire ;
  • des signes cliniques similaires à ceux du patient parmi les membres de sa famille.

L’examen physique doit particulièrement évaluer :

  • la croissance staturo-pondérale (poids, taille et PC) ;
  • l’examen ORL : tympans, obstruction nasale, amygdales, muguet ;
  • l’examen cardiopulmonaire : râles bronchiques, crépitants ou sibilants ;
  • l’examen cutané : eczéma, cicatrices d’infections anciennes et de vaccination par le BCG ;
  • les aires ganglionnaires, une hépatomégalie, une splénomégalie, des signes d’auto-immunité, d’allergie.

2. Signes d’alerte de DIH

Rationnel
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Les infections ORL et des voies respiratoires hautes et basses sont des motifs fréquents de consultation en pédiatrie. Une fréquence trop importante de celles-ci peut être l’un des premiers signes de DIH.
Un enfant âgé de moins de 4 ans avec plus de 8 otites moyennes aiguës (OMA) purulentes par an, un enfant âgé de plus de 4 ans avec plus de 4 OMA par an, ou un enfant avec plus de 2 pneumopathies ou/et 2 sinusites par an doivent être explorés sur le plan immunologique. Les fréquences des infections sont données à titre indicatif, et doivent être pondérées selon le mode de garde ; les enfants gardés en crèche collective font habituellement plus d’infections que ceux gardés au domicile.
Les infections virales respiratoires (rhinopharyngite, laryngite, trachéite, bronchite ou bronchiolite) sans signe de gravité ou sans surinfections bactériennes récurrentes suggèrent rarement un DIH. Elles doivent orienter vers d’autres facteurs de susceptibilité, tels que l’hyperactivité bronchique ou des anomalies morphologiques de la sphère ORL.

Toutes les infections sévères et invasives (sepsis, méningite) à bactéries encapsulées (pneumocoque, H. influenzae type b et méningocoque), même après un seul épisode, doivent être explorées.
Il en est de même pour les infections cutanées et tissulaires à bactéries pyogènes récurrentes (folliculite, cellulite, abcès), les infections récurrentes avec le même type de pathogène à chaque épisode, les infections inhabituelles et/ou d’évolution inhabituelle (infection par un germe opportuniste, diarrhée infectieuse persistante, muguet buccal ou candidose cutanée récidivante, infection mycobactérienne ganglionnaire ou osseuse).

D’autres signes cliniques d’alerte pourront orienter le diagnostic, comme un eczéma sévère, une auto-immunité (cytopénie auto-immune, par exemple : anémie hémolytique auto-immune, purpura thrombopénique en dehors de l’âge habituel du PTI ou d’évolution chronique), des adénopathies, une hépatosplénomégalie (inflammation chronique, lymphoprolifération) et parfois de l’allergie. Il convient également de rechercher un retentissement sur la croissance, qui est un cri-tère de gravité du DIH.

En pratique
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Le tableau 26.1 synthétise les signes d’appel de DIH chez un enfant.

Tableau 26.1. Signes d’appel de DIH chez un enfant.  

Histoire familiale
  • Antécédents familiaux de DIH
  • Présence de signes cliniques similaires
Infections récurrentes ORL ou des voies respiratoires
  • ≥ 8 OMA/an chez l’enfant d’âge < 4 ans
  • ≥ 4 OMA/an chez l’enfant d’âge ≥ 4 ans
  • ≥ 2 sinusites/an
  • ≥ 2 pneumopathies/an
Infections sévères ou inhabituelles
  • ≥ 1 épisode d’infection sévère ou invasive
  • Infections à bactéries pyogènes récurrentes
  • ≥ 1 épisode d’infection par un germe opportuniste
  • Diarrhée infectieuse persistante
  • Muguet ou candidose récidivants
Autres signes devant alerter
  • Cassure staturo-pondérale
  • Eczéma sévère et/ou avec des localisations inhabituelles
  • Allergies multiples / sévères
  • Auto-immunité (cytopénie, endocrinopathies…)
  • Lymphoproliférations, adénopathies, hépatosplénomégalie
  • Retard de chute du cordon ombilical (> 21 jours)

Connaître le tableau de synthèse des signes d’alerte de DIH.

 

B. Enquête paraclinique

1. Bilan de première intention

Généralités
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Bilan à prescrire :

  • hémogramme (formule leucocytaire et plaquettes) ;
  • dosage pondéral des immunoglobulines (Ig) : IgG, IgA, IgM ;
  • étude des sérologies post-vaccinales et post-infectieuses.

Ce sont des examens simples permettant d’orienter le diagnostic de DIH en cas de signes d’alerte. Ils doivent être interprétés avec les normes pédiatriques.

Hémogramme
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L’hémogramme est le premier examen à réaliser en cas de suspicion de DIH.
Il permet d’apprécier la formule leucocytaire (à interpréter en valeur absolue) et de rechercher la présence d’une neutropénie, d’une lymphopénie, d’une anémie, d’une thrombopénie et/ou d’une thrombocytose.

Le taux de lymphocytes chez le jeune enfant doit être impérativement interprété en fonction de l’âge du fait de la lymphocytose physiologique dans les premières années de vie. Une lymphopénie oriente souvent vers un déficit de l’immunité cellulaire (immunité dépendante des lymphocytes T).
En présence d’une lymphopénie isolée sur l’hémogramme, il faut contrôler l’hémogramme quelques jours plus tard pour vérifier sa normalisation. Toute lymphopénie persistante, même de découverte fortuite à l’hémogramme, doit être explorée. Plus particulièrement chez un nouveau-né ou un nourrisson, cette anomalie évoque une forme rare, mais très sévère de déficit immunitaire : le déficit immunitaire combiné sévère avec un défaut de l’immunité cellulaire prédisposant le patient à des infections fatales en l’absence de prise en charge rapide dans un centre de référence (indication de greffe de cellules souches hématopoïétiques).

Un frottis sanguin pourra être demandé en cas d’infection bactérienne invasive (sepsis, ménin-gite) pour rechercher des corps de Jolly en faveur d’une asplénie ou d’une hyposplénie.

Dosage pondéral des immunoglobulines (Ig)
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Le dosage pondéral des IgG, des IgA et des IgM apporte des éléments au diagnostic des déficits immunitaires humoraux (lymphocytes B) et des déficits immunitaires combinés (touchant à la fois les lymphocytes T et les lymphocytes B).
Les déficits immunitaires humoraux sont les DIH les plus fréquents, et sont généralement révélés par des infections bactériennes des voies respiratoires (ORL et pulmonaires).

Les taux d’immunoglobulines devront être interprétés en fonction de l’âge, car il existe de grandes variations du taux des Ig pendant l’enfance. Le dosage des IgG est difficilement interprétable avant l’âge de 4 mois car, jusqu’à cet âge, l’essentiel des IgG sont d’origine maternelle (pas-sage transplacentaire).

L’électrophorèse des protéines plasmatiques (EPP) est à réserver aux adolescents et aux adultes en première intention, les taux des Ig étant stables à partir de l’adolescence.
Le dosage pondéral des Ig permet d’apprécier la production globale d’anticorps (évaluation quantitative), indépendamment de leur spécificité.

Étude des sérologies post-vaccinales
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L’étude des sérologies post-vaccinales (par exemple, antitétanique, anti-diphtérie, anti-Haemophilus b et anti-pneumocoque) et des sérologies après une infection patente permet d’apprécier la capacité de production d’anticorps spécifiques (évaluation qualitative).

Ces anticorps peuvent être soit de type antiprotidique (les plus nombreux), soit de type antipoly-saccharidique.
Il est important de savoir que l’enfant âgé de moins de 2 ans a de manière physiologique un dé-faut de production des anticorps antipolysaccharidiques. La production de ces anticorps n’est donc évaluable qu’après cet âge (par exemple, anticorps après infection à pneumocoque ou après vaccination par le vaccin pneumococcique non conjugué).
L’ensemble des sérologies doit être interprété avec prudence pendant les 6 premiers mois de vie, période pendant laquelle il peut exister des sérologies faussement positives dues à la persistance d’anticorps maternels.

Imagerie
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Les examens d’imagerie peuvent être utiles pour compléter et interpréter le bilan initial, par exemple la radiographie du thorax (absence d’ombre thymique dans les déficits immunitaires sévères notamment chez un jeune nourrisson), le scanner sinusien (sinusite), le scanner thoracique (bronchectasie, corps étranger inhalé, nodule pulmonaire, adénopathies) et l’échographie ou le scanner abdominal (adénopathies, splénomégalie, asplénie).


Examens biologiques de première intention en cas de suspicion d’un DIH :

  • hémogramme : neutropénie, lymphopénie, anémie, thrombopénie, thrombocytose ;
  • dosage pondéral des Ig : évaluation de la production globale d’anticorps ;
  • sérologies post-vaccinales et post-infectieuses : évaluation de la production d’anticorps spécifiques.

2. Recours à un avis spécialisé

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Le diagnostic de DIH est avant tout clinique. Les explorations précitées constituent un bilan de première intention et n’étudient qu’une partie du système immunitaire.  
Selon la présentation clinique, le type d’infections et leur sévérité ainsi que les pathogènes impliqués, d’autres examens seront utiles (tableau 26.2). L’avis d’un immunologue spécialiste sera alors utile pour orienter au mieux le choix des explorations à réaliser.

Dans certaines situations, une anomalie anatomique expliquant les récidives d’infections devra être recherchée : imagerie thoracique ± fibroscopie bronchique en cas de pneumonies répétées dans un même territoire, IRM cérébrale en cas de méningite récidivante à germe encapsulé.


Tableau 26.2. Type de déficit suspecté et bilans utiles selon infections et pathogènes impliqués.

Infections et pathogènes Type
de déficit
Cellules
de l’immunité
Bilans utiles
Infections à bactéries encapsulées (pneumocoque, Hib, méningocoque) Déficits de l’immunité humorale Lymphocytes B Dosage pondéral Ig (hypogammaglobulinémie ?)
Sérologies post-vaccinales ou post-infectieuses
Sous-classes IgG (âge > 18 mois)
Infections avec mycobactéries
Infections sévères avec virus du groupe Herpès dont VZV et CMV
Infections opportunistes parasitaires ou fongiques (Toxoplasma gondii, Pneumocystis jirovecii, Cryptosporidia)
Déficits de l’immunité cellulaire Lymphocytes T NFS (lymphopénie ?)
Phénotypage lymphocytaire (T, B, NK)
Étude des proliférations lympocytaires T
Infections à bactéries pyogènes
Infections fongiques (Aspergillus)
Déficits phagocytaires Polynucléaires, monocytes, macrophages, cellules dendritiques NFS (neutropénie ?)
Étude fonctionnelle des phagocytes
Recherche de défauts d’adhésion leucocytaire
Dosage des IgE (hyper-IgE ?)
Infections bactériennes invasives
Infections à bactéries encapsulées
Paludisme grave
Déficits du complément
Aplénie
Complément
Rate
NFS (neutropénie ?)
Frottis sanguin (corps de Jolly ?)
Exploration des voies classique et alterne du complément : dosages C3, C4, CH50, AP50

 

Références

Texte

ASSIM, Collège des enseignants d’immunologie. Immunologie fondamentale et immunopathologie. 2e édition. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson ; 2018.

f26-01-9782294779831.jpg
Picard C. Comment explorer un déficit immunitaire héréditaire. Rev Prat 2007;57:1671–6.
https://www.ceredih.fr/uploads/explorations_picard.pdf