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ITEM 285 Diarrhée chronique chez l'adulte et l'enfant

  • Argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.
  • Connaître les principes du traitement de la maladie cœliaque.

 

Avant de commencer…

L'étiologie des diarrhées chroniques chez l'enfant est habituellement reliée à l'âge. La démarche diagnostique est surtout clinique, orientant le choix des examens complémentaires. Les causes les plus fréquentes sont fonctionnelles, notamment chez le jeune enfant. Un retentissement staturo-pondéral signe habituellement l'organicité.

Une diarrhée chronique sans retentissement pondéral est a priori fonctionnelle. Le tableau typique est l'intestin irritable, première cause chez l'enfant. Certaines maldigestions peuvent cependant permettre une croissance normale ; c'est le cas de l'intolérance physiologique au lactose et de certaines insuffisances pancréatiques.

Les points clés de deux causes sont développés ici : la maladie cœliaque et les MICI. La mucoviscidose fait l'objet d'un chapitre individualisé (voir chapitre 63). Sa présentation sous forme de diarrhée chronique inexpliquée est devenue rarissime depuis la généralisation du dépistage, mais il faut tout de même savoir l'évoquer compte tenu des faux négatifs possibles. L'allergie aux protéines du lait de vache est abordée dans le chapitre 59, dans la diversité de ses présentations cliniques, dont la diarrhée chronique.

 

I. Pour bien comprendre

La diarrhée est caractérisée par l'émission de selles de consistance anormale (molles ou liquides), trop abondantes, trop fréquentes. 
Elle est définie comme chronique au-delà de 3 semaines d'évolution.

L'analyse sémiologique est une étape essentielle qui permet d'éviter de toujours faire une pathologie d'une plainte alléguée des parents. En effet, la couleur et la consistance des selles sont physiologiquement variables. Il convient de savoir reconnaître la fausse diarrhée de l'enfant constipé (association de selles molles et dures, encoprésie), les selles molles/liquides grumeleuses jaunes de l'enfant allaité au sein, les selles vertes lors de l'utilisation de préparations hydrolysées.

L'émission de selles la nuit est un bon argument en faveur d'une diarrhée organique (hormis chez le jeune nourrisson).

 

II. Argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents

A. Démarche diagnostique

L'arbre décisionnel (fig. 20.1) présente les principales causes en pédiatrie.
Les causes de diarrhée chronique chez le nouveau-né sont du ressort du spécialiste et ne seront donc pas traitées car il s'agit de pathologies rares.

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Fig. 20.1. Principales causes de diarrhée chronique selon l'âge.
 

B. Situations cliniques

1. Chez le nourrisson et l'enfant

La diarrhée fonctionnelle associée ou non au syndrome de l'intestin irritable est la cause la plus fréquente.
Elle est caractérisée par une diarrhée abondante nauséabonde isolée, avec débris alimentaires, survenant chez un enfant typiquement âgé de 6 mois à 3 ans, en parfait état général et ayant une croissance normale. La diarrhée est dans ce cas un symptôme isolé.
Aucun examen paraclinique n'est nécessaire au diagnostic. En cas de doute (hyperphagie, selles graisseuses), un dosage de l'élastase fécale peut éliminer une insuffisance pancréatique exocrine (autre cause de diarrhée chronique avec croissance parfois conservée grâce à une hyperphagie compensatrice).
Le traitement fait appel à une modification du régime alimentaire visant à réduire les sucres fermentescibles : lactose, fructose, oligosaccharides et polyols (FODMAP). Une surveillance simple est nécessaire car il n'y a pas de complications.
Les causes organiques les plus importantes font l'objet de paragraphes ou chapitres spécifiques : la maladie cœliaque, l'APLV, la mucoviscidose. L'intolérance au lactose primitive est rarissime et ne doit donc pas être évoquée chez le nourrisson et le jeune enfant.

 

2. Chez le grand enfant et l'adolescent

Les MICI sont à évoquer (voir § III.B. Maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI)).

Le syndrome de l'intestin irritable se traduit par un tableau clinique identique à celui de l'adulte, avec notamment une croissance staturo-pondérale conservée. Des douleurs abdominales peuvent être associées à de la diarrhée, de la constipation ou une alternance des deux. La maladie cœliaque peut se révéler à cet âge.
L'intolérance au lactose secondaire dans la forme physiologique de l'adulte peut être en cause après l'âge de 5 ans, mais elle est bien plus rare que chez l'adulte. Elle se manifeste par des symptômes (douleurs, ballonnement, diarrhée) dans l'heure suivant la prise de lactose. Les allergies alimentaires sont une cause de diarrhée chronique exceptionnelle à cet âge.

Cause principale chez l'enfant : diarrhée fonctionnelle.
En cas de retentissement pondéral, évoquer :
  • chez le jeune nourrisson : APLV, mucoviscidose, maladie cœliaque (si gluten introduit) ;
  • chez le préadolescent et l'adolescent : MICI.

 

III. Points clés à propos de certaines causes

A. Maladie cœliaque

1. Généralités

La maladie cœliaque est une maladie dysimmunitaire déclenchée et entretenue par l'ingestion de gluten chez des sujets génétiquement prédisposés.

Les patients avec maladie cœliaque sont porteurs du génotype HLA-DQ2 (95 %) et/ou DQ8 (5 %). À noter cependant que ce génotype HLA est fréquent, puisque présent chez 30 à 40 % de la population générale, ce qui suggère l'implication d'autres facteurs. Un membre de la famille atteint de maladie cœliaque augmente le risque.

 

2. Diagnostic

Enquête clinique

Manifestations cliniques typiques chez le nourrisson diversifié avec du gluten :

  • signes digestifs : diarrhée chronique, ballonnement abdominal ;
  • cassure pondérale puis staturale ;
  • anorexie, dénutrition progressive avec amyotrophie (fig. 20.2) ;
  • pâleur, apathie, tristesse.

Les formes atypiques sont en augmentation : carence en fer, retard statural isolé (sans symptômes digestifs et sans cassure pondérale), douleurs abdominales isolées, constipation, vomissements isolés, augmentation des transaminases, hypoplasie de l'émail dentaire, dermatite herpétiforme, hippocratisme digital, retard pubertaire, arthralgies, ostéoporose, aphtes récurrents.
De nombreux contextes doivent faire évoquer l'association possible avec la maladie cœliaque : déficit en IgA, trisomie 21, syndrome de Turner, pathologies auto-immunes dont le diabète de type 1 et la thyroïdite auto-immune.

Enquête paraclinique

Le dosage des anticorps est la première étape diagnostique : IgA sériques anti-transglutaminases avec dosage simultané des IgA totales pour éliminer un déficit (2 % cas).

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Fig. 20.2 Enfants dénutris dans un contexte de maladie cœliaque.

 

En cas de déficit en IgA, un dosage des IgG anti-transglutaminases pourra être réalisé.
Attention : le dosage des anticorps anti-transglutaminases ne doit être réalisé que chez un patient qui consomme du gluten, son exclusion pouvant faussement négativer le résultat. Si les IgA anti-transglutaminases sont supérieures à 10 fois la normale, un dosage des IgA anti-endomysium est demandé dans un second temps. La positivité conjointe de ces deux conditions permet de poser le diagnostic de maladie cœliaque par un gastropédiatre sans réaliser de biopsie intestinale.

Dans tous les autres cas, une biopsie intestinale est nécessaire pour poser le diagnostic. Les critères diagnostiques sur les biopsies sont une augmentation de la lymphocytose intraépithéliale, une infiltration lymphoplasmocytaire du chorion, une hypertrophie des cryptes et une atrophie villositaire.

Test thérapeutique

La preuve définitive du diagnostic sera apportée par la réponse au régime d'exclusion stricte du gluten. On observe dans ce cas une amélioration :

  • clinique : disparition des signes en 1 à 2 semaines, reprise de la croissance (rattrapage staturo-pondéral en 6 à 12 mois) ;
  • biologique : négativation des anticorps en 12 à 18 mois le plus souvent, parfois plus ;
  • histologique : régression de l'atrophie villositaire en 6 à 12 mois (contrôle rarement réalisé).

 

3. Prise en charge thérapeutique et suivi

Régime d'exclusion

Le régime d'exclusion consiste en l'éviction du gluten (blé, orge, seigle), quel qu'en soit le mode de présentation (plats cuisinés industriels, aliments panés, etc.). La plupart des patients tolèrent de petites quantités d'avoine.
Il peut être couplé initialement et très transitoirement avec un régime sans lactose (notamment durant la phase diarrhéique) et une supplémentation en vitamines et en fer.
Ce régime d'exclusion doit être poursuivi à vie.

Une éducation thérapeutique, avec conseils diététiques et l'aide d'associations de malades, est utile pour favoriser l'observance et donc l'efficacité du traitement. Le régime est parfois difficile à accepter pour l'enfant et son entourage, notamment en cas de repas en collectivités ou à l'approche de l'adolescence. Un soutien psychologique peut s'avérer utile.
Un PAI est indispensable à l'école, en rassurant les enseignants sur l'absence de risques immédiats liés à une erreur ponctuelle de régime.
La prescription des produits sans gluten peut donner lieu à des remboursements accordés par la Sécurité sociale, dans certaines limites et sous certaines conditions.

Suivi de l'enfant

L'efficacité et l'observance du régime sont appréciées cliniquement dans les 3 premiers mois et biologiquement après 12 mois par le dosage des anticorps.

Le mauvais suivi du régime peut s'accompagner chez l'enfant d'un retard de croissance, d'une ostéopénie et d'une augmentation de l'incidence d'autres maladies auto-immunes.

Prédisposition génétique incontournable HLA-DQ2 ou HLA-DQ8.
Évoquer la maladie cœliaque après l'introduction du gluten chez un nourrisson dénutri avec diarrhée chronique et ballonnement abdominal ou devant des présentations atypiques.
Test diagnostique essentiel et suffisant en première intention : IgA anti-transglutaminases (+ IgA totales).
Régime avec éviction du gluten à vie. Ne pas le débuter avant confirmation diagnostique.

 

B. Maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI)

1. Généralités

Les MICI regroupent comme chez l'adulte la maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique (RCH) et les colites indéterminées.
Leur incidence est en nette augmentation en France, particulièrement chez l'enfant.
Le début de la maladie de Crohn est souvent insidieux et le diagnostic peut être retardé de plusieurs mois, car une MICI chez le jeune enfant n'est pas toujours évoquée.
L'âge typique de début d'une MICI est avant tout le grand enfant ou l'adolescent.
Des colites précoces sont possibles chez le nourrisson et le jeune enfant. Elles ne doivent pas être considérées comme des maladies de Crohn mais sont plutôt la conséquence de maladies monogéniques.

 

2. Diagnostic

Évoquer le diagnostic de MICI (tableau 20.1)

Il convient de savoir avant tout différencier des douleurs abdominales organiques et fonctionnelles (voir chapitre 17).

Signes évocateurs de maladie de Crohn :

  • douleurs abdominales récurrentes d'allure organique, souvent en fosse iliaque droite ;
  • perte de poids, perte d'appétit ;
  • accélération du transit ; diarrhée pas toujours sanglante ;
  • retard de croissance staturo-pondérale ;
  • retard pubertaire ;
  • aphtose buccale ;
  • lésions anopérinéales (fissure, fistule ou abcès de la marge anale) ;
  • arthralgies ;
  • fièvre, fatigue.

Signes évocateurs de rectocolite hémorragique (RCH) :

  • accélération du transit ; diarrhée presque toujours sanglante ;
  • douleurs abdominales (pas toujours présentes) ;
  • répercussion sur la croissance (moindre par rapport à la maladie de Crohn).

La courbe de croissance staturo-pondérale est un élément clé du diagnostic de MICI.

Tableau 20.1. Comparaison des signes de maladie de Crohn et RCH chez l'enfant.
  Maladie de Crohn RCH
Diarrhée Sanglante Quasi toujours Occasionnelle Quasi toujours Quasi toujours
Douleurs abdominales Quasi toujours Fréquentes
Symptomatologie périnéale Fréquente Absente
Retard de croissance Fréquent Rare
Dénutrition Fréquente Rare

 

Connaître les spécificités des MICI et leurs complications

Les complications des MICI sont les mêmes que chez l'adulte, sauf le risque de cancer colorectal, quasi exclusivement observé chez l'adulte car survenant après au moins 8 à 10 ans d'évolution de la maladie.

Savoir évoquer d'autres diagnostics
  • Tuberculose intestinale.
  • Lymphome intestinal.
  • Infections : colite à Clostridium difficile, Campylobacter, Yersinia, Shigella, Salmonella, amœbose (tableau souvent très aigu).
Enquête paraclinique

Examens biologiques :

  • syndrome inflammatoire (VS, CRP, hypoalbuminémie) ;
  • examens sérologiques :
    • ASCA : positifs chez 2/3 des patients atteints de maladie de Crohn ;
    • p-ANCA : positifs chez 3/4 des patients atteints de RCH (attention : leur positivité n'affirme pas le diagnostic) ;
  • calprotectine fécale augmentée (marqueur inflammatoire).

Confirmation diagnostique :

  • endoscopies haute et basse systématiques avec biopsie : présence d'ulcérations et infiltrat inflammatoire (signes inflammatoires typiques de maladie de Crohn : granulomes gigantocellulaires et épithélioïdes) ;
  • entéro-IRM (la vidéocapsule endoscopique n'est qu'un examen que de 3e intention).
Signes de MICI : diarrhée parfois sanglante (> RCH), retard de croissance (> maladie de Crohn), douleurs abdominales récurrentes.

 

Références

Husby S., Koletzko S., Korponay-Szabó I., et al. European Society Paediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition. Guidelines for diagnosing coeliac disease. J Pediatr Gastroenterol Nutr, 2020;70:141–56.

Levine A., Koletzko S., Turner D., et al. ESPGHAN revised Porto criteria for the diagnosis of inflammatory bowel disease in children and adolescents. J Pediatr Gastroenterol Nutr, 2014;58:795–806.