Reflux gastro-œsophagien

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ITEM 271 Reflux gastro-œsophagien chez le nourrisson, chez l'enfant et chez l'adulte. Hernie hiatale

  • Diagnostiquer un reflux gastro-œsophagien et une hernie hiatale aux différents âges.
  • Connaître les principes de la prise en charge.

 

Avant de commencer…

Le RGO physiologique est fréquent.
Chez le nourrisson, il se manifeste principalement par des régurgitations banales sans retentissement, liées à l'immaturité fonctionnelle du dispositif antireflux avant l'âge de 1 an.
Seules des mesures hygiéno-diététiques sont alors nécessaires.

Le RGO pathologique (acide ou non acide) est moins fréquent.
Il est défini comme un RGO s'accompagnant de conséquences pathologiques pour l'enfant, telles qu'une œsophagite, des manifestations extradigestives (ORL, respiratoires) ou des malaises. Les explorations paracliniques peuvent être utiles pour identifier un RGO acide pathologique, car les signes cliniques ne sont pas spécifiques, en dehors du pyrosis chez le grand enfant.
Seul un RGO acide authentifié et symptomatique justifie d'un traitement par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). La responsabilité d'un RGO pathologique est très discutée dans de nombreux symptômes extradigestifs.

 

I. Pour bien comprendre

A. Généralités

Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est défini comme le passage involontaire du contenu gastrique vers l'œsophage.
Le RGO est physiologique avant l'âge de la marche. Il peut par son abondance ou ses complications propres devenir pathologique.
La maturation fonctionnelle du sphincter inférieur de l'œsophage (SIO), l'introduction des aliments solides et l'acquisition de la position verticale conduisent à la disparition du RGO physiologique avant l'âge de 1 an.
Certains terrains sont considérés comme à risque de RGO pathologique : certaines encéphalopathies, les enfants opérés d'atrésie de l'œsophage, de hernie diaphragmatique congénitale et les enfants ayant une mucoviscidose.

 

B. Physiopathologie

Le dispositif antireflux, lorsqu'il est efficace, permet un transit normal du bol alimentaire, s'oppose au retour des aliments et du liquide gastrique dans l'œsophage, et n'autorise que quelques éructations ou reflux occasionnels, souvent extériorisés chez le nourrisson.

Principaux mécanismes du RGO :

  • avant tout, la survenue de relaxations inappropriées et transitoires du SIO, avec des épisodes de relaxation ≥ 5 secondes indépendants de la déglutition ; ceci est en partie la conséquence d'une inadéquation entre le volume gastrique encore réduit chez le jeune nourrisson et les quantités de lait absorbées (volumes importants > 120 ml/kg par jour) ;
  • plus rarement, une hypotonie ± permanente du SIO.
Physiopathologie : alimentation liquide et immaturité fonctionnelle du SIO s'améliorant vers l'âge de 1 an. 

 

II. Diagnostiquer un reflux gastro-œsophagien

A. Manifestations cliniques

1. Régurgitations

Les régurgitations sont très banales chez un nourrisson.
Elles se définissent comme des expulsions (rejets) soudaines sans effort, d'une petite quantité de liquide gastrique alimentaire, par la bouche. Elles sont spontanées ou contemporaines d'une éructation. Elles ne s'accompagnent pas de contractions musculaires ou abdominales, contrairement aux vomissements qu'il convient de bien différencier. À noter que parfois, des vomissements non bilieux peuvent les accompagner.
Les régurgitations de l'enfant après l'âge de la marche sont plus rares et doivent faire évoquer un autre diagnostic (mérycisme, achalasie).

Dans tous les cas, il convient d'éliminer une suralimentation (avant l'âge de 6 mois).
La distinction clinique entre RGO physiologique, vomissements et RGO pathologique n'est en pratique pas toujours simple.

 

2. Œsophagite

Aucun signe clinique n'est vraiment caractéristique du diagnostic d'œsophagite, en dehors de l'hématémèse (rare en pédiatrie).
Les pleurs pendant ou en dehors des biberons sont souvent attribués à tort à une œsophagite. Ils sont très fréquents entre les âges de 2 et 4 mois et ne sont que très rarement liés à un RGO acide pathologique. Les pleurs inexpliqués ne justifient pas à eux seuls la recherche d'une œsophagite et encore moins la prescription d'un traitement par inhibiteur de la pompe à protons (IPP).
Une œsogastroduodéonoscopie (OGD) est indispensable pour confirmer le diagnostic d'œsophagite chez le nourrisson.

 

3. Manifestations ORL et respiratoires

Manifestations ORL possiblement reliées à un RGO pathologique :

  • dyspnée laryngée ;
  • dysphonie.

Manifestations pulmonaires possiblement reliées à un RGO pathologique :

  • toux chronique (notamment nocturne) ;
  • bronchiolites ou pneumopathies récidivantes.

Ces manifestations et le RGO ont une relation de causalité très discutée.

La très grande majorité des affections respiratoires et ORL sont d'origine virale ou allergique ; le RGO n'étant que très rarement en cause (sauf chez l'enfant handicapé).
En pratique, il ne faut pas évoquer un RGO en première intention devant des manifestations ORL et respiratoires.

 

4. Malaises

Le RGO peut être une cause de malaises (voir chapitre 66), bien que la relation de cause à effet soit très discutée.
Une pH-métrie pathologique est indispensable pour attribuer potentiellement l'origine d'un malaise grave à un RGO pathologique.

 

5. Autres circonstances

L'asthme, les otites, les rhinopharyngites, l'érythème du larynx n'orientent pas spécifiquement vers le caractère pathologique d'un RGO.
Un ralentissement staturo-pondéral doit faire rechercher d'autres causes qu'un RGO.

RGO physiologique = régurgitations banales chez la plupart des nourrissons.
RGO pathologique = œsophagite, manifestations extradigestives avec RGO prouvé.
Ne pas évoquer trop rapidement (et facilement) un RGO devant des manifestations ORL ou respiratoires, un malaise grave.

 

B. Diagnostic paraclinique

1. Rationnel des examens complémentaires

pH-métrie œsophagienne des 24 heures

Il s'agit de l'examen de référence pour objectiver un RGO acide.
Lorsqu'il n'existe pas de régurgitations, elle est indispensable pour poser le diagnostic de RGO en présence de signes extradigestifs. En revanche, en cas de régurgitations chez le nourrisson, le diagnostic de RGO peut être posé cliniquement, sauf en présence d'un malaise grave où la pH-métrie est nécessaire dans tous les cas.

Cet examen est réalisé sur une durée ≥ 24 heures et comporte une interprétation quantitative et qualitative.
L'analyse quantitative apprécie le pourcentage cumulé de temps où le pH œsophagien est < 4. Il y a RGO franchement pathologique pour une valeur > 10 % avant 1 an et > 5 % après 1 an. L'analyse qualitative permet de situer les périodes de reflux et leur concordance avec d'éventuels symptômes, en fait rarement mise en évidence en pratique. Des reflux prolongés de plus de 30 minutes témoignent d'une mauvaise clairance œsophagienne.
Il n'y a jamais eu de preuves pour affirmer une relation linéaire entre l'importance du reflux et la gravité de ses conséquences cliniques. Un résultat de pH-métrie sortant des normes n'est pas la preuve d'une relation de cause à effet entre le reflux et l'événement.

Œsogastroduodéonoscopie (OGD)

Elle constitue l'examen de référence pour le diagnostic d'œsophagite peptique.
La confirmation de ce diagnostic témoigne d'un RGO et rend inutile la réalisation d'une pH-métrie. À l'inverse, l'absence de signes d'œsophagite ne permet pas d'éliminer le diagnostic de RGO.
L'OGD permet également d'évaluer l'anatomie (hernie hiatale) et de diagnostiquer d'autres causes d'œsophagites : infectieuses ou à éosinophiles.

Autres investigations

Le transit œsogastroduodénal (TOGD) ne permet pas le diagnostic de RGO en raison de ses faibles sensibilité et spécificité. Il est l'examen optimal pour visualiser une anomalie morphologique du tractus digestif supérieur (malrotation intestinale, hernie hiatale par glissement, présence d'arcs vasculaires anormaux), en cas de RGO compliqué résistant au traitement ou pour un bilan préopératoire.

La manométrie œsophagienne ne permet pas le diagnostic de RGO. Elle est uniquement indiquée pour rechercher des diagnostics différentiels (achalasie de l'œsophage, dysmotricité du corps de l'œsophage).

L'impédancemétrie permet d'explorer les reflux acides et non acides, ces derniers pouvant aussi être responsables de complications. Il n'existe cependant pas encore de normes consensuelles pédiatriques pour l'interpréter.

 

2. Indications des examens complémentaires

En pratique, on retiendra les données du tableau 19.1.

Tableau 19.1. Investigations paracliniques dans le RGO.
RGO de sémiologie digestive typique non compliqué (régurgitations, pyrosis chez l'enfant capable de s'exprimer) → Aucun examen (sauf malaise grave)
RGO non cliniquement évident, formes extradigestives → pH-métrie œsophagienne
Recherche d'une œsophagite, d'une anomalie anatomique → OGD
Recherche d'une anomalie anatomique → TOGD

 

III. Argumenter l'attitude thérapeutique et planifier le suivi de l'enfant

A. Prise en charge thérapeutique

1. Mesures hygiéno-diététiques

Elles reposent principalement sur :

  • la réassurance des parents à propos de la bénignité des régurgitations ;
  • l'épaississement du lait infantile : utilisation d'un lait pré-épaissi (lait dit AR) ou ajout d'un épaississant dans les formules infantiles n'existant pas sous forme pré-épaissie ;
  • la réduction du volume des biberons, si trop important pour l'âge.

En cas d'allaitement au sein, aucune de ces mesures ne doit être proposée, en dehors de la réassurance des parents.
L'inclinaison du berceau (proclive) ainsi que l'éviction du tabagisme passif n'ont pas d'efficacité prouvée.

En cas de RGO non amélioré malgré ces mesures, l'hypothèse d'une APLV doit être évoquée et un régime sans protéines de lait de vache empirique peut être mis en place pendant 2 à 4 semaines. Si les symptômes disparaissent à l'issue de cette période, une épreuve de réintroduction des protéines du lait de vache confirmera ou pas le diagnostic.

 

2. Traitements médicamenteux

Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP)

Ils ont une action antisécrétoire acide et ne sont donc efficaces qu'en cas de reflux acide. Ils n'ont aucune efficacité sur les régurgitations.
Des effets secondaires sont possibles (diarrhée, céphalées, vertiges, augmentation du risque d'infections digestives et respiratoires, ainsi que du risque d'allergie alimentaire et augmentation des fractures).
Ils n'ont pas d'AMM avant l'âge de 1 an et ne doivent donc pas être prescrits, sauf en cas d'œsophagite prouvée.
Deux molécules sont disponibles avec une AMM après l'âge de 1 an : oméprazole et ésoméprazole. S'y ajoute le pantoprazole après l'âge de 12 ans.

Prescription réservée (consensus nationaux et internationaux) à :

  • œsophagite érosive prouvée par une OGD, y compris chez le nourrisson âgé de moins de 1 an (prescription hors AMM avec ses règles propres à respecter) ;
  • complications extradigestives d'un RGO pathologique acide authentifié par une pH-métrie (indication discutée car pas de preuves de l'efficacité des IPP dans ces situations) ;
  • pyrosis mal toléré de l'enfant capable de s'exprimer, sans nécessité d'exploration préalable.

Les pleurs isolés, un malaise ou tout autre symptôme en l'absence de RGO acide prouvé ne sont pas des indications à la prescription empirique d'IPP.

Autres médicaments

La dompéridone est inefficace dans le traitement du RGO de l'enfant.
Les alginates et autres pansements œsophagiens sont une mesure adjuvante d'efficacité contestée, notamment chez le nourrisson.
Le métoclopramide est contre-indiqué chez les sujets âgés de moins de 18 ans en raison du risque de syndromes extrapyramidaux.

 

3. Traitement chirurgical

Le recours à un traitement chirurgical est exceptionnel.
Il est principalement indiqué dans les RGO compliqués, invalidants et résistants au traitement médicamenteux, en particulier sur les terrains à risque précédemment évoqués (encéphalopathies, enfants opérés d'atrésie de l'œsophage, de hernie diaphragmatique congénitale, enfants ayant une mucoviscidose) ou d'anomalie anatomique telle que la hernie hiatale. En cas de doute sur un trouble de la motricité œsophagienne, une manométrie œsophagienne doit être réalisée en préopératoire, afin de discuter l'indication chirurgicale.
La technique la plus utilisée est la fundoplicature (intervention de Nissen ou Toupet).

Conduite thérapeutique graduée : mesures hygiéno-diététiques et éventuel essai d'un lait sans protéines du lait de vache en cas d'échec, traitements médicamenteux (rarement), intervention chirurgicale (exceptionnellement).

 

B. Suivi

L'efficacité du traitement doit être contrôlée par la régression des signes initiaux.
Pour autant, celle-ci ne doit pas être toujours considérée comme une preuve formelle du rôle du RGO.

L'absence d'amélioration clinique ou la survenue de complications doit faire évaluer :

  • l'observance thérapeutique ;
  • le bien-fondé du choix thérapeutique ;
  • la réalité du diagnostic ;
  • la pertinence de la relation causale entre RGO et symptômes observés ;
  • l'éventualité de facteurs intercurrents.

Le RGO physiologique du nourrisson a une évolution habituellement favorable au cours du deuxième semestre de vie.

 

Références

Rosen R., Vandenplas Y., Singendonk M., et al. Pediatric gastroesophageal reflux clinical practice guidelines: Joint recommendations of the North American Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition and the European Society for Pediatric

Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr, 2018 ;66:516–54. Tounian P. Traitement du reflux gastro-œsophagien : de l'abstention thérapeutique à la chirurgie. Arch Pediatr, 2009 ;16:1424–8.