Risque et conduite suicidaires chez l'enfant et l'adolescent

Texte

 

ITEM 353 Risque et conduite suicidaires chez l'enfant, l'adolescent et l'adulte : identification et prise en charge

  • Détecter les situations à risque suicidaire chez l'enfant, chez l'adolescent et chez l'adulte.
  • Argumenter les principes de la prévention et de la prise en charge.

 

Avant de commencer…

Les conduites suicidaires chez l'enfant et l'adolescent sont un enjeu de santé publique en raison de leur fréquence, de leur possible gravité et des impacts sociaux et familiaux. Une crise suicidaire est toujours le témoin d'une souffrance psychique.

Le repérage des situations à risque et la prise en charge des tentatives de suicide sont ainsi essentiels.
Les conduites suicidaires ne doivent pas être banalisées et ne sont jamais à mettre sur le compte d'une « crise d'adolescence ».

 

I. Pour bien comprendre

A. Définitions

Les conduites suicidaires couvrent un large champ allant de la prise de risque ordalique (jouer à mettre sa vie en jeu) jusqu'à un projet clairement conscient pouvant aboutir à la mort.

Un suicide est une mort volontaire par désir conscient ou non de se donner la mort.
Une tentative de suicide (TS) est un acte intentionnel ayant pour but de se donner la mort, mais sans y parvenir : il s'agit d'un suicide inabouti, quelle qu'en soit la raison.
Une intoxication médicamenteuse volontaire est une TS par absorption de médicaments. Le terme d'autolyse est à éviter.

Les idées ou pensées suicidaires sont le fait de penser au suicide comme une issue possible dans un contexte de souffrance morale.
Une crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur est le suicide.
Les équivalents suicidaires sont des conduites à risque où la vie du sujet peut être mise en jeu sans expression d'un désir ou d'une volonté de se donner la mort.

 

B. Épidémiologie

1. Suicides

Le taux de suicide augmente avec l'âge. Le suicide, quel que soit l'âge, est plus fréquent chez les hommes. Ainsi, le taux de suicide est faible à l'adolescence et élevé chez les hommes âgés.
Le suicide est cependant chez les adolescents la deuxième cause de mortalité (la troisième chez les adolescentes), loin derrière les accidents.

L'incidence du suicide est en baisse nette à tous les âges depuis 30 ans. Le taux de suicide chez les 15–24 ans en 2016 est 4 pour 100 000 personnes (13 pour 100 000 tous âges confondus).
Les modes de suicide sont par ordre de fréquence : pendaison, armes à feu (chez les hommes), médicaments, saut dans le vide.

 

2. Tentatives de suicide

Environ 5 à 10 % des adolescents déclarent avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie. À l'inverse du suicide, les TS sont plus fréquentes chez la fille (sex-ratio 1/3).
Le mode de TS est majoritairement médicamenteux (8 sur 10). Les produits utilisés sont principalement des psychotropes (souvent prescrits à l'adolescent lui-même dans les semaines précédant l'acte) et des antalgiques.

 

3. Idées suicidaires

Environ 5 à 10 % des adolescent(e)s ont eu des idées suicidaires dans l'année.
Les filles sont surreprésentées (sex-ratio 1/2).

 

C. Particularités liées à l'âge

1. L'enfant « suicidaire »

Les professionnels de l'enfance ont généralement du mal à admettre la réalité de la problématique suicidaire chez l'enfant, ce qui rend son repérage difficile.
Certains accidents domestiques ou comportements de mise en danger comportent une dimension suicidaire, souvent méconnue. L'expression d'idées suicidaires ou de mal-être est rare chez l'enfant et s'exprime de façon indirecte soit par le corps (douleurs, maux de tête, maux de ventre), soit par le comportement (troubles de l'apprentissage, hyperactivité, isolement).

 

2. L'adolescent suicidant

La tentative de suicide est une attaque du corps au cours d'un acte souvent impulsif. Il s'agit généralement d'une tentative d'échapper à une situation vécue comme insupportable.
L'adolescent suicidant n'a pas de profil de personnalité ni de pathologie psychiatrique unique. Il est fréquent qu'il ne présente pas de pathologie psychiatrique. Le contexte présuicidaire est souvent marqué par des changements récents ou des facteurs déclenchants qui doivent alerter : rupture relationnelle, décrochage scolaire, troubles du sommeil, accidents, plaintes somatiques, survenue ou majoration d'une consommation de toxiques.

La connaissance des facteurs de risque et de ces éléments contextuels doit permettre d'évoquer le risque de passage à l'acte suicidaire ou le risque de récidive après un premier geste, d'en évaluer la gravité et le degré d'urgence.

Les conduites suicidaires modifient l'équilibre familial antérieur et entraînent soit des remaniements positifs, soit une plus grande rigidité des mécanismes interactifs familiaux.
Deux caractéristiques de la réaction familiale ont un impact favorable sur la prise en charge ultérieure : la capacité à reconnaître la gravité de l'acte (opposée à la banalisation) ; la capacité à reconnaître la souffrance psychique de chacun (opposée au déni de cette souffrance).
Dans les jours qui suivent le passage à l'acte survient le plus souvent une amélioration symptomatique qui ne doit pas faire surseoir à la nécessité d'un suivi au long cours de l'adolescent et de sa famille.

Les différences épidémiologiques entre suicide et tentative de suicide doivent être bien retenues.
Le suicide est rare à l'adolescence. Il augmente avec l'âge et concerne majoritairement les hommes. Le taux de suicide en France diminue depuis 30 ans, quel que soit l'âge.
Les tentatives de suicide sont au contraire fréquentes à l'adolescence et concernent plus les jeunes filles.

 

II. Risque suicidaire : repérage et conduite à tenir

Le repérage des idées suicidaires et des antécédents à risques psychosociaux est nécessaire chez tout adolescent consultant ou hospitalisé, notamment quand le motif de consultation n'est pas clairement organique.

 

A. Évaluation

Aborder l'adolescent :

  • permettre un climat de confiance en étant empathique et professionnel ;
  • prendre un temps seul avec l'adolescent ;
  • faire une évaluation biopsychosociale large (interview type HEAADSSSS, voir infra) ;
  • ne pas oublier un examen clinique complet ;
  • faire un retour aux parents devant l'adolescent en expliquant les mesures proposées.

L'échelle RUD = Risque / Urgence / Danger évalue le potentiel suicidaire.

« R » : Facteurs de risque
  • Antécédent personnel de tentative de suicide, d'idées suicidaires.
  • Antécédents familiaux de suicide, tentative de suicide, maladies psychiatriques, addictions.
  • Violences subies et notamment harcèlement dont cyber-harcèlement.
  • Abus sexuel.
  • TCA et notamment anorexie mentale.
  • Adoption.
  • LGBT (homosexualité, dysphorie de genre).
  • Psychose.
  • Dépression, troubles bipolaires, attaques de panique.
  • Syndrome post-traumatique.
  • Consommations de toxiques (dont ivresses).
  • Symptômes flous : troubles du sommeil, maux de tête/de ventre, fléchissement scolaire.

Si R+ (présence de facteurs de risque), poser la question des idées suicidaires.
Évoquer le suicide n'augmente pas le risque de survenue d'idées suicidaires !

« U » : Urgence

L'urgence suicidaire est considérée comme faible lorsque l'adolescent pense au suicide mais qu'il n'a pas de scénario précis et peut trouver une alternative pour faire face à sa souffrance.
L'urgence est moyenne quand un scénario est envisagé mais qu'il est décalé dans l'avenir ou imprécis.
L'urgence est élevée lorsque la planification suicidaire est claire, avec un passage à l'acte programmé pour les jours ou même les heures à venir.

« D » : Dangerosité

L'estimation du danger suicidaire se réfère au potentiel létal des moyens à disposition (par exemple, types de médicaments, armes à feu), ainsi qu'à l'accès à ces moyens.
Sur cette base, le danger suicidaire peut être considéré comme faible, moyen ou élevé.

 

B. Conduite à tenir en urgence

La conduite à tenir passe par l'évaluation du potentiel suicidaire (RUD) pour orienter le jeune.

Un risque suicidaire faible, en l'absence d'autres motifs nécessitant une hospitalisation, ne relève pas d'une hospitalisation. On s'assurera que l'adolescent a dans son entourage un ou des adultes à qui se confier et on pourra lui laisser un numéro de téléphone « si besoin » tel celui de Fil Santé Jeune (0800 235 236). Un suivi auprès d'un psychologue peut être proposé.

Un risque suicidaire moyen nécessite une consultation d'évaluation rapide à programmer selon les possibilités locales (CMP, CMPP, psychiatre libéral, consultation post-urgence). Les parents doivent être informés des idées suicidaires. Si des moyens létaux ou dangereux sont présents au domicile (médicaments, notamment psychotropes et paracétamol, arme à feu…), ceux-ci devront être mis hors de portée de l'adolescent.

Un risque suicidaire élevé nécessite une hospitalisation, au minimum en UHCD, et une évaluation par un médecin d'adolescent et/ou un psychiatre

Indications formelles d'hospitalisation :

  • urgence et/ou dangerosité élevée évaluée par le RUD ;
  • non-possibilité de prise en charge à domicile : non-implication des parents, pas d'accès aux soins.

En cas d'hospitalisation, l'environnement doit être sécurisé et l'équipe prévenue du risque suicidaire. Les grandes causes de suicide à l'hôpital sont la défenestration/précipitation et la pendaison.

Un transfert en pédopsychiatrie (ou en attendant en unité de soins intensifs) doit être envisagé après évaluation médicale en cas de risque suicidaire très élevé, en cas d'impossibilité de sécuriser l'environnement ou en cas de passage à l'acte suicidaire pendant l'hospitalisation.

La fréquence élevée des pensées suicidaires à l'adolescence justifie leur recherche devant des symptômes de dépression, d'anxiété, de symptômes inexpliqués voire de manière systématique.
Repérer des idées suicidaires et bien orienter vers un professionnel compétent sauve des vies.
L'échelle RUD évalue le risque de passage à l'acte.

 

III. Tentatives de suicide : principes de prise en charge

A. Hospitalisation recommandée

Toute TS de l'enfant et de l'adolescent, quelle qu'en soit la gravité immédiate, devrait conduire à un temps d'évaluation hospitalière.
Le lieu d'hospitalisation est le plus possible adapté à l'âge de l'enfant ou de l'adolescent : unités de médecine pour adolescents ou service de pédiatrie avec psychiatrie de liaison.

 

B. Évaluation « triple » : clinique, psychique et sociale

1. Évaluation clinique

Aux urgences :

  • examen clinique complet, recherche de scarifications ;
  • mesure des conséquences physiques de la TS pouvant faire l'objet d'une prise en charge : surveillance et traitement d'une intoxication (voir chapitre 69) ;
  • aucun jugement de valeur sur le geste suicidaire ;
  • prévention du risque de récidive immédiat par un environnement sécurisé, avec équipe prévenue du risque suicidaire.

Au cours de l'hospitalisation :

  • évaluation d'une éventuelle maladie chronique ;
  • évaluation de la croissance, du développement pubertaire, d'une acné ;
  • recherche d'une consommation de toxiques ;
  • recherche d'une sexualité à risque ; bilan d'IST ;
  • évaluation d'une contraception.

 

2. Évaluation psychique

Elle implique l'intervention d'un psychologue, d'un psychiatre ou d'un pédiatre/généraliste spécialisé dans la médecine de l'adolescent.

Elle analyse et recherche :

  • antécédents de traumatisme psychique ou physique : maltraitance sexuelle, psychologique ou physique, carences, événements douloureux ;
  • pathologie psychiatrique personnelle et familiale (dépression, TCA, psychose, syndrome post-traumatique), antécédents personnels et familiaux de TS ;
  • facteurs de risque de récidive à court terme : forte intentionnalité suicidaire, préméditation et dissimulation du geste suicidaire, persistance d'idées suicidaires, moyen violent utilisé et encore disponible.

 

3. Évaluation sociale

Cette évaluation est toujours nécessaire, en lien si besoin avec le service social.

 

C. Transdisciplinarité

La prise en charge hospitalière doit être globale et associer plusieurs intervenants, à adapter individuellement à chaque adolescent. Elle doit répondre à des règles institutionnelles de travail en équipe et de recherche de continuité des soins.

Le soin institutionnel pendant le séjour hospitalier a été comparé par certains à de véritables « soins intensifs » psychiques autour de trois dimensions :

  • travail individuel de l'adolescent qui amorce un travail d'élaboration psychique ;
  • travail de groupe avec confrontation aux pairs hospitalisés ;
  • travail avec la famille autour de la crise familiale qui accompagne cette crise suicidaire.
Une tentative de suicide nécessite une évaluation médicale, psychologique et sociale en urgence, le plus souvent dans le cadre d'une hospitalisation.

 

IV. Prévention

A. Prévention primaire

Elle concerne les adolescents sans risque suicidaire immédiat mais avec facteur(s) de risque.
La période de l'adolescence est une période de remaniements importants qui peuvent fragiliser et exposer à des risques. Tout professionnel de santé travaillant auprès d'adolescents doit savoir repérer la souffrance psychique des adolescents et les facteurs de risque suicidaire.
On recherchera tout particulièrement un infléchissement des résultats scolaires, une hyperactivité, des troubles du comportement alimentaire, des prises de risque notamment sexuel, une violence sur soi et sur autrui, des fugues.
L'utilisation d'un guide d'entretien psychosocial type HEAADSSSS est très utile (tableau 43.1).

 

B. Prévention secondaire

C'est la prise en charge du risque suicidaire avant sa concrétisation en acte.
Dès l'idéation suicidaire, la prise en charge doit être organisée à partir du premier médecin ou professionnel de santé qui a recueilli la plainte de l'adolescent. Cela nécessite une formation suffisante et une connaissance du réseau local d'aide et de soins pour les adolescents (réseau local propre, services de santé mentale, Maisons des adolescents, etc.).
Les moyens de prise en charge sont les mêmes qu'après une TS mais la mobilisation familiale est souvent moins forte qu'en cas de TS.

Tableau 43.1. Guide d'entretien psychosocial : HEAADSSSS.
Habitation (Home) Conditions de vie familiale
École (Education/Employment) Scolarité, difficultés, projets
Alimentation Recherche de TCA
Activités (Activities) Relations avec les pairs, activités extrascolaires, usages d'internet
Drogues (Drugs) Consommation de toxiques, alcool, tabac
Sexualité (Sexuality) Relations amoureuses, sexuelles, prévention des IST et grossesse
Suicide Idées suicidaires, antécédents de TS, signes de dépression
Sévices subis (Safety) Recherche de violences physiques, verbales, sexuelles, sur internet, de traumatismes familiaux
Symptômes flous Douleurs abdominales, céphalées, insomnie

 

C. Prévention tertiaire

C'est éviter le risque de récidive après un geste suicidaire et donc le risque de mortalité par suicide à court ou moyen terme.
Cela nécessite une évaluation globale de l'adolescent et de la famille pour mise en place d'un projet de soins.
Une carte avec les coordonnées du professionnel qui va suivre l'adolescent et/ou le numéro de Fil Santé Jeune doit être remise.

La prise en charge du risque suicidaire et de la dépression est un enjeu de santé publique.
Le modèle d'interview HEAADSSSS est important à connaître.

 

Références

HAS. Manifestations dépressives à l'adolescence : repérage, diagnostic et prise en charge en soins de premier recours. 2014  http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-12/manifestations_depressives_recommandations.pdf

ANAES. Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide. Recommandations professionnelles. 1998 http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/suicidecourt.pdf