Prise en charge de la douleur

Texte

 

ITEM 137 Douleur chez l'enfant : évaluation et traitements antalgiques

  • Savoir évaluer la douleur de l'enfant par les outils d'évaluation adaptés.
  • Repérer, prévenir et traiter les manifestations douloureuses pouvant accompagner les pathologies de l'enfant.
  • Connaître les médicaments utilisables chez l'enfant selon l'âge, avec les modes d'administration, indications et contre-indications.
  • Connaître les moyens non médicamenteux utilisables chez l'enfant.

 

Avant de commencer…

L'enfant ressent la douleur différemment de l'adulte ; car plus il est jeune, moins il comprend ce qui lui arrive. Connaître le développement cognitif et émotionnel ainsi que les besoins affectifs d'attachement et de sécurité de l'enfant en fonction de son âge aide le soignant à mieux le comprendre et communiquer avec lui, donc à mieux le soigner.
Les manifestations comportementales de la douleur évoluent dans la durée. Quand la douleur est aiguë, violente et brève, elles sont bruyantes ; mais si la douleur se prolonge, s'installe, elles font place à un tableau trompeur de repli nommé atonie psychomotrice.
La douleur liée à une maladie ou une chirurgie est à distinguer des douleurs chroniques où les facteurs psycho-sociaux sont importants.

L'entrée en relation rassurante et empathique, puis l'évaluation de la douleur sont les premières étapes de la prise en charge. La collaboration avec les parents est essentielle.
Les outils d'évaluation permettent de limiter la subjectivité du soignant et de fournir un score numérique d'intensité douloureuse, indispensable pour le choix thérapeutique et le suivi.
Chez les plus jeunes enfants, seule une hétéroévaluation par l'observateur parent ou soignant est possible, fondée sur des échelles comportementales, à choisir en fonction de l'âge de l'enfant et du contexte. À partir de 4 ou 5 ans, une autoévaluation peut être proposée ; elle devient fiable après 6 ans.

Les principes de prise en charge thérapeutique sont proches de ceux de l'adulte, combinant antalgiques et moyens psychologiques et psychocorporels. De nombreuses molécules n'ont cependant pas l'AMM en pédiatrie. Les traitements non médicamenteux constituent des moyens efficaces dans la prise en charge de la douleur aiguë et chronique chez l'enfant.
La prévention des douleurs induites par les soins est essentielle.

 

I. Pour bien comprendre

A. Généralités

1. Définition et composantes de la douleur

La douleur est « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle » (définition officielle de l'IASP, International Association for the Study of Pain).

Les systèmes neurophysiologiques de perception de la douleur se mettent en place principalement durant les deux premiers trimestres de la grossesse. Le nouveau-né même prématuré est donc équipé pour percevoir la douleur. En revanche, les systèmes inhibiteurs ou modulateurs maturent lentement pendant les premières années.

On distingue quatre composantes qui fonctionnent au niveau cérébral en réseaux communiquant entre régions et qui se modulent réciproquement :

  • composante sensori-discriminative : localisation, intensité, caractéristiques du ressenti ; communiquée avant tout par le langage (avec des mots spécifiques : ça tape, ça tord, ça pèse etc., que le jeune enfant ne possède pas), cet aspect de la perception est ainsi mal transmis par les jeunes enfants ;
  • composante cognitive : compréhension, raisonnement, analyse, interprétation, prévision (causes, conséquences, moyens de soulagement, durée prévisible, bénignité ou gravité…) ; le jeune enfant ne comprend pas ce qui se passe, cet aspect de la perception lui fait défaut ;
  • composante affectivo-émotionnelle : peur essentiellement (variant selon l'âge de l'enfant, le contexte de la maladie ou du traumatisme ou du soin, l'incertitude quant à son évolution, l'attitude de l'entourage), colère, culpabilité, agressivité, ou tristesse également ; ces fortes émotions sont très bien exprimées par un biais non verbal (expression, comportement) ; dès le plus jeune âge, on peut lire le ressenti sur le visage ;
  • composante comportementale : l'expression visible de la douleur varie selon les expériences antérieures, l'attitude familiale et soignante, le milieu culturel, les standards sociaux liés à l'âge et au sexe. En grandissant, l'enfant adopte un comportement de douleur et apprend à maîtriser son expression, voire à masquer son ressenti.

Sans moyen cognitif pour s'en défendre, envahi par les émotions, le bébé ou le jeune enfant ressentent et expriment la douleur (à stimulus égal) plus fortement que le grand enfant ou l'adulte.
L'influence de la mémorisation sur le ressenti et l'expression de la douleur est majeure.
Le facteur temps (modes aigu, prolongé, récurrent ou chronique) modifie l'expérience.
On peut évoquer aussi des facteurs culturels, des aspects spirituels.

 

2. Perception de la douleur chez l'enfant et ressources des soignants en fonction de l'âge

Que pense l'enfant de la douleur ?
La pensée et la perception enfantines évoluent selon le développement cognitif (décrit ici selon Piaget) et l'évolution affective.
« Ici et maintenant » caractérise le vécu du jeune enfant. Ses questions sont simples : « Qu'est-ce qu'on va me faire ? Est-ce que je vais avoir mal ? Est-ce que j'aurai des piqûres ? Est-ce que maman sera là ? »

De 0 à 2 ans : le nouveau-né et le nourrisson

Le ressenti est dominé par les perceptions sensorielles ; les réponses à la douleur peuvent apparaître réflexes. La douleur envahit le nourrisson débordé par l'afflux de sensations désagréables, faute de notion du temps, de la cause et du soulagement ; le raisonnement lui fait défaut.
Le bébé hurle, communiquant une impression d'urgence, agite ses quatre membres ; sa détresse augmente si personne n'arrive à le soulager ; puis il se replie sur lui-même, semble hostile, lointain ou triste.

Propositions de ressources

Contenir, rassurer (portage, paroles, musique, cocon), favoriser la présence et le rôle des parents, respecter les rythmes, organiser les soins.
 

De 2 à 7 ans : le petit enfant

Jusque vers l'âge de 4 ans et demi, l'enfant vit dans l'instant sans bien distinguer monde imaginaire et monde réel (perceptions à l'intérieur et à l'extérieur de lui). Il raisonne de façon magique, se croit transparent (il pense que l'adulte sait ce qu'il ressent) et fait peu le lien entre le traitement et le soulagement.
Il associe méchanceté et douleur : maladie et douleur sont souvent vécues comme une punition. Il ne voit que son point de vue : il ne peut pas comprendre qu'il faut lui faire parfois du mal (examens, piqûres) pour qu'il aille mieux, d'où de fortes émotions. Il tient l'autre pour responsable de sa douleur, accuse les soignants et peut dire à l'infirmière qu'elle est méchante si elle lui fait mal, et se montre parfois agressif envers ses parents.
Il peut aussi se sentir coupable d'inquiéter ses parents. Les émotions sont très prégnantes, en particulier la peur, d'où une détresse majeure avec protestation énergique et bruyante, puis un abattement et une prostration.

Propositions de ressources

Favoriser la présence permanente des parents qui sont comme le garant de son sentiment de sécurité ; informer avec des mots simples ou par le jeu, la veille ou le jour même ; rassurer, affirmer que « ce n'est pas de sa faute » ; distraire et faire accéder au monde imaginaire.
 

De 7 à 11 ans : le grand enfant

L'enfant commence à comprendre et analyser de façon autonome ; ses émotions sont comme en veilleuse, son raisonnement progresse, il acquiert beaucoup de connaissances.
La douleur est perçue comme une expérience physique du corps, mais le rôle de chaque organe reste confus. Le rôle des facteurs psychiques est intégré (stress, peur…). Il a facilement des peurs, des phobies ; la peur de la mort et d'une lésion de son corps peut l'envahir si la douleur forte se prolonge.
Il comprend de mieux en mieux les causes et les conséquences, aime les explications, est capable d'adhérer aux soins et devient un partenaire fiable pour adapter le traitement.

Propositions de ressources

Expliquer, informer sans mentir ni dramatiser, développer avec les parents (dont la présence peut ne plus être permanente) les moyens de participer, de faire face (coping, courage) ; distraire et/ou accompagner par l'hypnose.
 

Après l'âge de 11 ans : l'adolescent

Il peut appréhender le monde en termes plus abstraits. La maladie et la douleur peuvent être comprises, attribuées à des causes physiologiques et/ou psychologiques, au mauvais fonctionnement d'un organe ou à de l'anxiété.
Le travail d'adolescence (acquérir la maîtrise de sa vie, s'approprier des valeurs, un projet de vie, vivre la puberté avec ses transformations corporelles et ses émois amoureux…) s'accompagne de fortes émotions et rend vulnérable. Maladie et douleur interrompent sa trajectoire et coupent les liens avec les amis.
L'adhésion aux soins est perturbée par des phases d'opposition voire de révolte (refus de traitement plus ou moins clair) et/ou des phases dépressives et de perte de confiance (apparente immaturité, régression comme une dépendance à sa mère lors des soins, par exemple).

Propositions de ressources

Informer clairement, négocier souvent pour obtenir alliance et compliance au traitement proposé, établir comme un contrat de soins, favoriser l'autonomie par rapport aux parents dont les visites (toujours essentielles) alternent au mieux avec celles des amis, proposer des moyens non pharmacologiques variés (importance des écrans).

 

B. Types de douleurs

1. Mécanismes des douleurs

La douleur par excès de nociception est le mécanisme le plus fréquent. Elle résulte d'une lésion tissulaire mécanique (fracture, distension, compression, effraction), thermique (brûlure), inflammatoire (otite, infection, rhumatisme), ischémique (rare), qui provoque un excès d'influx douloureux transmis par les voies somato-sensorielles.
Elle se traduit par une douleur superficielle ou profonde, avec souvent des irradiations, et un horaire inflammatoire ou mécanique.
Au niveau viscéral (distension, inflammation), elle peut s'accompagner de signes digestifs (nausées et vomissements).

La douleur neuropathique est liée à un dysfonctionnement ou une lésion du système nerveux somato-sensoriel, périphérique ou central. Les causes sont très variées : compression (tumeur), blessure nerveuse ou du SNC (amputation, traumatisme, chirurgie), inflammation (polyradiculo-névrite), infection (zona), hypoxie (cérébrolésé), dégénérescence (maladie neurologique)…
Elle intéresse un territoire systématisé et provoque des sensations de brûlure associées à des paresthésies très désagréables, à des fulgurances de type décharges électriques et à des troubles de la sensibilité à rechercher : allodynie (ressenti douloureux d'un toucher habituellement non algogène), hyperpathie (persistance de la sensation après l'arrêt du stimulus), avec souvent un déficit sensitif (hypoesthésie, voire anesthésie de la zone douloureuse).
Ces caractéristiques sont difficilement décrites par le jeune enfant et peuvent être mal interprétées : ainsi la douleur au simple effleurement de l'allodynie pourra faire suspecter à tort une exagération ou une théâtralisation.
En cas de lésion nerveuse potentielle, il est nécessaire de rechercher systématiquement ces éléments sémiologiques.
Des éléments en faveur d'une participation du système nerveux sympathique peuvent parfois accompagner la douleur neuropathique (par exemple, au cours du syndrome douloureux régional complexe, ou algodystrophie), avec des sensations de douleurs profondes et des manifestations vasomotrices : vasodilatation (œdème, rougeur, chaleur, sueurs) pouvant alterner avec vasoconstriction (froideur, marbrures violacées).

La douleur fonctionnelle, ou primaire (dite aussi idiopathique, sine materia ou psychogène ou trouble somatomorphe ou trouble somatoforme ou psychosomatique…), est caractérisée par une enquête clinique et paraclinique normale : la douleur est médicalement inexpliquée, soit d'emblée (douleurs abdominales) soit dans un second temps ; on parle aussi de syndrome d'amplification (par exemple, douleur persistant des semaines ou des mois après une entorse, après une chirurgie). L'activation des systèmes de douleur par d'autres biais qu'une lésion locale visible est évoquée.

Le terme de douleur nociplastique a été choisi récemment pour nommer ces douleurs où l'on retrouve un abaissement du seuil de douleur, une sensibilisation du système nerveux et un dysfonctionnement des systèmes inhibiteurs descendants.

Plusieurs mécanismes sont souvent associés, par exemple :

  • douleur mixte nociceptive et neuropathique en oncologie, traumatologie, en postopératoire, en cas de polyhandicap… ;
  • douleur nociceptive comme une douleur postopératoire aggravée par des facteurs psycho-sociaux, émotionnels comme l'anxiété ou une situation familiale conflictuelle.
Connaître le mécanisme de la douleur permet d'adapter la thérapeutique.

 

2. Douleurs aiguës, prolongées, récurrentes, chroniques

La douleur aiguë joue le rôle de signal d'alarme d'une pathologie aiguë.
Ses manifestations sont habituellement parlantes, avec des modifications évidentes du comportement, des cris, des plaintes et des pleurs, et de l'agitation chez le très jeune enfant. Certains facteurs peuvent majorer le vécu de la douleur, notamment l'état émotionnel de l'enfant (angoisse, phobie), le contexte familial, les expériences antérieures.
Quand la douleur s'installe ensuite, après un court délai (quelques heures suffisent), le comportement se modifie, l'enfant devient immobile, puis moins réactif, lointain, comme triste, apathique, prostré : c'est l'atonie ou inertie psychomotrice, plus ou moins intense, d'un retrait minime à la prostration majeure. L'attention doit être attirée par ces enfants « trop calmes » dont la douleur peut être méconnue. Le terme de douleur prolongée ou installée est à retenir (plutôt que celui de douleur chronique). L
a plupart des douleurs rencontrées en pédiatrie courante évoluent selon ce schéma de manifestations comportementales successives et nécessitent des antalgiques.

Les douleurs récurrentes sont assez fréquentes : accès répétés de douleur aiguë, avec parfois des douleurs intercritiques plus ou moins prolongées ou chroniques ; par exemple : douleurs abdominales récurrentes, crises vaso-occlusives des enfants drépanocytaires, migraines.

La douleur chronique a des critères précis comme chez l'adulte : douleur survenant plus de 15 jours par mois plus de 3 mois, mais peut aussi être reconnue dès que sa durée dépasse l'évolution attendue (par exemple, en postopératoire).
Des facteurs psychologiques sont susceptibles d'intervenir dans l'aggravation, le maintien ou la genèse de ces douleurs chroniques (événements de vie ou changements dans l'environnement de l'enfant, soucis familiaux, émotions de type anxiodépressives).

Il s'agit :

  • soit (le plus souvent) de douleurs sans cause reconnue (ou suivant un événement somatique mineur et disparu) : céphalées chroniques, douleurs musculo-squelettiques chroniques localisées ou diffuses (lombalgies, syndrome douloureux régional complexe, douleurs plus ou moins généralisées), douleurs abdominales récurrentes ;
  • soit de douleurs liées à une maladie somatique chronique (handicap, cancer, drépanocytose, hémophilie, rhumatisme…), souvent aggravées ou amplifiées par les facteurs psycho-sociaux.

La description de la douleur est variable, riche ou au contraire pauvre, vague, et variant dans le temps ; l'intensité est souvent décrite élevée, alors que le comportement de douleur n'est pas flagrant ; l'impact fonctionnel peut être majeur (limitation des activités, déscolarisation).
La prise en charge est différente de celle des douleurs aiguës, très orientée vers la situation psycho-sociale avec des méthodes non pharmacologiques.

 

II. Prise en charge des manifestations douloureuses

A. Repérer les manifestations douloureuses

1. Abord et examen de l'enfant douloureux

Aborder un enfant douloureux demande patience et attention, en tenant compte de ses besoins affectifs de sécurité (bras des parents ou leur présence, doudou). Établir une relation thérapeutique de qualité avec l'enfant et sa famille dès le début de la prise en charge nécessite de prendre un peu de temps, d'écouter et d'observer, avec empathie.

Proposer un jouet pour entrer en relation de façon plus ludique avec les plus jeunes.
Plus l'enfant est jeune, plus la présence et la collaboration des parents est indispensable pour le rassurer. Si l'enfant crie ou est agité, garder d'abord une distance, s'asseoir et échanger avec les parents, se mettre à sa hauteur, lui parler de loin, puis susciter sa curiosité et son attention avec un objet attrayant.
Proscrire la contrainte ou la contention qui aggraveront la détresse.

Le soignant fait préciser en faisant le plus possible participer l'enfant à ce dialogue :

  • les circonstances de survenue de la douleur et son mode évolutif ;
  • les caractéristiques sémiologiques ;
  • l'influence de facteurs calmants ou aggravants et la réponse aux antalgiques ;
  • les répercussions de la douleur sur la vie de l'enfant.

L'examen se fait avec précaution, pour les plus jeunes dans les bras ou sur les genoux des parents, si possible en jouant, et en commençant par les zones non douloureuses.

Abord d'un enfant douloureux : temps, écoute et empathie, présence des parents, jeu.

 

2. Repérage de la douleur : sémiologie

Les signes cliniques peuvent être :

  • des modifications du comportement :
    • pleurs, cris, gémissements, geignements, difficultés à obtenir un réconfort (inconsolable) → signes peu spécifiques trop facilement négligés ou attribués à la peur ;
    • visage crispé : froncement des sourcils et des paupières, accentuation des sillons naso-labiaux, ouverture de bouche → signes constitutifs de la grimace de douleur, très spécifiques, observables même chez le prématuré ;
    • corps agité, mouvements des quatre membres → signes souvent transitoires trop facilement attribués à la peur et l'opposition ;
    • crispation des doigts et des orteils, raideurs, positions antalgiques, immobilité parfois impressionnante → signes très spécifiques ;
    • troubles de la relation avec l'entourage : désintérêt, refus de communiquer, enfant « lointain », prostré, visage inexpressif → signes spécifiques de l'atonie psychomotrice qui apparaît progressivement ; attention à ne pas la confondre avec la tristesse ou le sommeil ou un trouble de conscience ;
    • troubles du sommeil (insomnie, réveils) ;
    • troubles de l'appétit (refus) ;
  • des modifications des constantes (FC, FR, PA, coloration), peu contributives, non spécifiques ;
  • des plaintes verbales.

Cette observation du comportement par le soignant, en essayant de ne pas provoquer douleur ou peur supplémentaires (observation dite « au repos »), est un temps essentiel. Les manifestations corporelles (postures et crispations), la grimace du visage et la prostration sont les signes fiables qui permettent le diagnostic différentiel d'avec la peur ou d'autres émotions.

Quelques pièges :

  • la douleur peut être surévaluée en cas d'anxiété ;
  • la douleur peut être méconnue ou sous-évaluée ou niée en cas de :
    • douleurs intenses : motricité figée, pseudo-sommeil ou, à l'inverse, agitation extrême confondue avec la peur ;
    • douleurs chroniques : dépression, déni, perte du repère « zéro douleur », comportement pseudo-normal ;
    • maladie sévère : lassitude, incompréhension des outils d'évaluation ;
    • situation de handicap : difficultés de reconnaissance ;
    • douleur neuropathique : comportement surprenant.
       

3. Évaluation de la douleur : outils d'évaluation adaptés à l'âge

Pour une évaluation fiable, le rôle de l'entourage familial est très important. Les parents peuvent expliquer l'histoire de l'enfant, parler de sa personnalité et de ses goûts, ainsi que de ses manières d'exprimer et de faire face à la douleur (le coping). Leur présence permet de rassurer l'enfant. Le doudou, le jeu peuvent aussi faciliter le dialogue.

L'évaluation se fait à l'arrivée, puis régulièrement si douleur, et en cas de changement de comportement. Toujours évaluer à deux temps :

  • « au repos », c'est-à-dire de loin, sans approcher, pour ne pas réveiller la peur ou la douleur ;
  • lors de la mobilisation, pour permettre un choix d'antalgique permettant de bouger avec le minimum de douleur.

Avant l'âge où l'enfant sera capable de donner son avis, le soignant évalue l'intensité de la douleur à l'aide d'une échelle d'hétéroévaluation. L'outil de mesure est un score ou une échelle, une liste de symptômes (de comportement et parfois des constantes), qui aboutit à un chiffre. Sa validité a été testée : la concordance entre les cotateurs, la cohérence des items, la validité de construction du score (le score mesure la douleur et non la peur ou l'asthénie) et la sensibilité au changement ont été vérifiées.

L'autoévaluation est habituellement possible et fiable à partir de 6 ans, en l'absence de trouble de la communication ou de déficit cognitif (enfant handicapé, enfant en réanimation, pour lesquels il existe des échelles comportementales spécifiques). Prendre du temps avec l'enfant est fondamental pour se faire comprendre. La borne haute est décrite simplement : « une très forte douleur, très très mal ».
Entre 4 et 6 ans, une autoévaluation peut être proposée, mais elle est souvent difficile à obtenir (incompréhension, difficulté à relativiser, surcotation, choix du niveau maximum) ; il est alors préférable de reprendre une échelle d'hétéroévaluation.

Différentes échelles d'autoévaluation ou d'hétéroévaluation de la douleur sont disponibles selon les situations (tableau 11.1 et tableau 11.2). Ces listes sont données à titre informatif et tout leur contenu n'est pas à mémoriser pour l'ECNi. Retenir principalement pour la pratique courante : EVENDOL (fig. 11.1), EVA pédiatrique et échelle de visage FPS.

Tableau 11.1. Échelles recommandées selon l'âge et la situation pour une douleur liée à la maladie ou à la chirurgie.
 
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Soit le seuil a été déterminé par l'habitude clinique (*), soit il a été étudié et déterminé par les auteurs (**).
 

Tableau 11.2. Échelles recommandées selon l'âge et la situation pour la douleur brève d'un soin, d'une mobilisation.
Âge Échelle Seuil de traitement
Nouveau-né à terme ou prématuré DAN 3/10**
NFCS 1/4*
2 mois–7 ans

 

FLACC 4/10 *
1–7 ans CHEOPS 8/13 *
Autoévaluation Selon compréhension et préférence de l'enfant

 

À partir de 4 ans Visages (FPS-R) 4/10**
À partir de 6 ans EVA (présentation verticale) 3/10**
À partir de 8 ans EN (échelle numérique 0–10) 3/10**

 

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Fig. 11.1. Échelle d'hétéroévaluation EVENDOL (EValuation Enfant DOuLeur).

Échelle validée pour mesurer la douleur (aiguë ou prolongée avec atonie), de 0 à 7 ans, en pédiatrie, aux urgences, au SAMU, en salle de réveil, en postopératoire.

  1. Au repos au calme (R) : observer l'enfant avant tout soin ou examen, dans les meilleures conditions possibles de confort et de confiance, par exemple à distance, avec ses parents, quand il joue…
  2. À l'examen ou la mobilisation (M) : il s'agit de l'examen clinique ou de la mobilisation ou palpation de la zone douloureuse par l'infirmière ou le médecin.
  3. Réévaluer régulièrement en particulier après antalgique, au moment du pic d'action : après 30 à 45 minutes si oral ou rectal, 5 à 10 minutes si IV. Préciser la situation, au repos (R) ou à la mobilisation (M).

(Source : Pain 2012 ; 153 : 1573–82. Pediatr Emerg Care 2019 ; 35 : 125–131. Reproduit avec l'autorisation des auteurs. © 2011. Groupe EVENDOL.)
 

Le schéma du corps (ou du bonhomme), où l'enfant colorie les zones douloureuses (en utilisant quatre couleurs différentes de son choix selon leur intensité), permet de mieux connaître la ou les localisations des douleurs (en tenant compte des risques de confusion droite/gauche) et d'en faire préciser l'intensité et le type. Il est utilisable dès 6 à 8 ans, surtout pour les douleurs chroniques.

Le score DN4 est un score spécifique à la description des douleurs neuropathiques et une aide au diagnostic.

Échelle d'hétéroévaluation la plus utilisée en France entre 0 et 7 ans : EVENDOL.
Dès l'âge de 4 à 5 ans : proposition d'une échelle d'autoévaluation de la douleur.
Échelles d'autoévaluation les plus utilisées : échelle des visages FPS-R, EVA verticale, échelle numérique à l'adolescence, dessin.

 

B. Prévenir et traiter la douleur

1. Prévention de la douleur et de la détresse liées aux soins

La douleur liée aux soins est vécue par les petits enfants comme une agression incompréhensible, sans rationnel, d'où détresse et protestation vite majeures même pour un soin banal pour l'adulte (vaccination, prise de sang). La plupart des soins génèrent douleur et peur ; une phobie des soins peut s'installer rapidement.
Prévention de la douleur et de la peur doivent être systématiques, en collaboration avec les parents, avec des méthodes non pharmacologiques toujours, et des moyens pharmacologiques souvent.

Méthodes non pharmacologiques

Avant le soin :

  • organiser un environnement accueillant, serein ;
  • établir une relation de confiance ;
  • informer, sans mentir ni banaliser, sur : le soin, son déroulement, les moyens utilisés pour le vivre confortablement, le rôle de chacun (fiches explicatives de l'association Sparadrap, par exemple) ;
  • éviter les phrases négatives comme « n'aie pas peur, ne t'inquiète pas » ; utiliser des formulations positives « rassure-toi » ou « tout se passera au mieux » ;
  • rassurer l'enfant et ses parents, expliquer l'intérêt du soin chez les plus âgés, rappeler aux plus jeunes que le soin n'est pas une punition ;
  • prévoir la participation de l'enfant s'il le souhaite (regarder, décoller le pansement ou au contraire s'en éloigner mentalement) ;
  • prévoir et organiser les méthodes d'analgésie selon le niveau attendu de douleur du soin et l'état de l'enfant ;
  • prévoir la présence et le rôle des parents (garder le contact visuel, verbal et tactile avec leur enfant, participer à la distraction) ;
  • prévoir si possible un soignant déjà expérimenté.

Pendant le soin :

  • installer parent, enfant et soignant confortablement ; 7
  • faire respirer calmement ;
  • distraire : bulles de savon, jouets sonores ou lumineux, histoire lue, dialogue, chansons, vidéo, jeux vidéos, réalité virtuelle… ;
  • ou mettre en place l'hypno-analgésie : à partir de 5 à 6 ans, par un soignant formé, très efficace (l'enfant est très suggestible) : l'enfant est guidé, accompagné vers un état de concentration sur autre chose que le soin, ce qui en modifie la perception ;
  • savoir s'arrêter si le soin se passe mal.

Après le soin :

  • féliciter, valoriser le courage (même s'il a pleuré) ;
  • évaluer la douleur.
Moyens médicamenteux

Toujours en association avec les moyens non pharmacologiques.

Les solutions sucrées orales produisent une analgésie efficace pour une effraction cutanée chez le nouveau-né, y compris prématuré, et le nourrisson jusqu'à 6 mois :

  • saccharose 24 % (dosettes d'Algopédol®, par exemple) ou glucosé 30 % ;
  • déposer quelques gouttes sur le bout de la langue ;
  • puis faire téter une tétine non nutritive pendant le soin ;
  • durée de l'analgésie : 5 à 7 minutes.

L'allaitement maternel pendant le soin est tout aussi efficace.

Le MEOPA, mélange équimolaire oxygène-protoxyde d'azote (50/50), gaz anxiolytique et antalgique, est la référence pour les actes et soins douloureux (ponction veineuse, suture, ponction lombaire, myélogramme, sondage vésical, pansement de brûlure…) :

  • inhalation minimum 3 minutes avant, poursuivie pendant le soin ;
  • durée < 60 minutes (selon l'AMM) ;
  • à partir de l'âge d'1 mois, mais surveillance de la sédation plus délicate chez le bébé ; acceptation du masque parfois difficile avant 3 ans : ne jamais administrer de force ;
  • effets indésirables : nausées/vomissements, sédation ; réversibles en quelques minutes à l'arrêt ;
  • contre-indications : HTIC, trouble de conscience, oxygénodépendance > 50 %, pneumothorax, traumatisme craniofacial.

Une formation courte est obligatoire préalablement à son utilisation.
Toujours associer à un accompagnement par la distraction (jeux, chanson, histoires, tablette) ou de l'hypno-analgésie pendant l'inhalation pour renforcer les effets.

La crème anesthésiante lidocaïne-prilocaïne EMLA®, crème + pansement occlusif ou patch, est utile pour l'anesthésie de l'effraction cutanée à tout âge y compris chez le nouveau-né à terme :

  • anesthésie cutanée sur 3 mm de profondeur au bout de 1 heure et sur 5 mm au bout de 2 heures ;
  • durée d'anesthésie d'1 à 2 heures ensuite.

Ces moyens peuvent être associés pour plus d'efficacité.
En cas d'inefficacité, une sédation médicamenteuse (orale ou rectale ou IV) est utilisée dans les lieux de soin (par exemple, benzodiazépine ± morphinique), avec une surveillance particulière du risque de dépression respiratoire.

Le tableau 11.3 synthétise les délais d'efficacité des moyens antalgiques pour les soins. 

Pour tout soin douloureux : informer avant, présence des parents, distraire ou accompagner par l'hypnose, solutions sucrées orales ou allaitement chez les plus jeunes, MEOPA, EMLA® crème ou patch.

 

Tableau 11.3. Moyens antalgiques pour les soins : délais d'efficacité.
  • Saccharose : 2 minutes avant le soin (tout en faisant téter une tétine ensuuite)
  • MEOPA : 3 minutes (et poursuivre l'inhalation pendant le soin)
  • Anesthésiques locaux (infiltration) : 5 minutes
  • Crème ou patch anesthésiant de type EMLA® : 60 à 120 minutes
  • Administration per os : 30 à 60 minutes (l'efficacité décroît après ce délai)
  • Voie intraveineuse directe : moins de 10 minutes

 

2. Principes du traitement de la douleur

Les douleurs liées à une maladie ou traumatiques ou postopératoires nécessitent un traitement médicamenteux, toujours associé à un traitement non médicamenteux (au minimum soutien relationnel, distraction).
Les douleurs chroniques médicalement inexpliquées (abdominales, musculo-squelettiques…) relèvent surtout de méthodes non médicamenteuses, psychocorporelles.
La relation thérapeutique chaleureuse, dans la confiance, en demandant l'avis de l'enfant et des parents sur l'évaluation de la douleur, les objectifs de soulagement, l'effet du traitement et les effets indésirables, est indissociable de la prescription.

Moyens médicamenteux

L'objectif est d'obtenir une analgésie rapide.

Principes :

  • prescription antalgique systématique, à horaires réguliers (selon la demi-vie de la molécule), pour la durée prévisible de la douleur ;
  • choix initial selon l'évaluation avec une échelle validée ; choisir d'emblée la molécule adaptée au niveau de douleur ;
  • toujours prévoir un recours (ordonnance évolutive), en cas de douleur persistante malgré le traitement, en précisant le critère, par exemple : si EVA ≥ 4/10 ou si EVENDOL ≥ 5/15… ;
  • privilégier les voies orales ou IV ; éviter les suppositoires et les IM ;
  • suivi de l'efficacité : adaptation en réévaluant régulièrement la douleur ;
  • ne jamais utiliser volontairement de placebo (sauf essai clinique contrôlé) : le placebo ne permet pas de distinguer entre douleur organique et psychosomatique (les deux répondent au placebo) et perturbe la relation de confiance.

Choix de l'antalgique en fonction :

  • du mécanisme : origine nociceptive ou neuropathique ;
  • de l'intensité : nécessité de l'évaluation préalable et régulière ;
  • de l'étiologie de la douleur :
    • pas ou peu d'antalgiques pour les douleurs sans origine organique, et jamais de morphinique ;
    • pas de morphinique pour une migraine ;
    • AINS spécialement indiqués dans certaines situations (traumatisme, migraine).

La HAS a fait paraître en 2016 (suite aux limitations de prescription de la codéine chez l'enfant) des recommandations de bonne pratique concernant l'emploi des antalgiques dans les situations courantes principalement ambulatoires de pédiatrie : l'antalgique conseillé en 1re intention, puis celui en recours si échec, y est précisé. Une synthèse de la classification des principaux antalgiques utilisés chez l'enfant ainsi que la correspondance entre antalgiques et intensité de la douleur sont proposées dans les tableaux 11.4 et 11.5.

Tableau 11.4. Classification des principaux antalgiques utilisés.
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⁎ Non détaillés ici.
 

Tableau 11.5. Correspondance antalgique/intensité de la douleur pour une douleur nociceptive.
Intensité de la douleur EVA ou EN (0 à 10) Activités de l'enfant Antalgique
Légère 1 à 3 Normales ou subnormales Abstention ou Paracétamol
Modérée 3 à 5 Diminuées Paracétamol Prévoir si insuffisant : + AINS et/ou palier 2
Intense 5 à 7 Très pauvres Paracétamol + palier 2  + Si indiqués, AINS Prévoir si insuffisant : palier 3
Très intense 7 à 10 Arrêtées Paracétamol + palier 3  + Si indiqués, AINS

Moyens non médicamenteux

L'instauration d'une relation de confiance avec l'enfant et sa famille, l'écoute attentive et la volonté de rejoindre l'univers de l'enfant sont des étapes essentielles. Le soutien relationnel, l'information, le jeu, la présence des parents et des méthodes simples de réassurance et de distraction sont systématiquement associés.

Dans certaines indications, le recours aux méthodes physiques (exercice, kinésithérapie, massages, électrostimulation, application de chaud ou de froid), aux méthodes cognitivo-comportementales ou psychocorporelles (relaxation, méditation, hypnose) et parfois aux psychothérapies verbales, est utile, voire nécessaire, en particulier pour les douleurs chroniques.

Antalgique adapté au mécanisme, à l'intensité, à l'étiologie de la douleur, et selon l'AMM.

 

3. Critères de surveillance d'un traitement antalgique

L'objectif de la prise en charge antalgique est de ramener l'EVA à une valeur ≤ 3 ou 4/10, ou < à la valeur équivalente du score comportemental choisi (par exemple, EVENDOL ≤ 4 ou 5/15), et d'obtenir la reprise des activités de base de l'enfant (bouger, jouer, dormir, manger, parler).

Toute intervention doit conduire à une réévaluation utilisant la même échelle d'évaluation.
Une augmentation des doses et/ou un changement de palier médicamenteux doivent faire rechercher une complication de l'affection causale ou un événement intercurrent. E

n cas de prise en charge ambulatoire (étiologie bénigne, douleur contrôlée avec des antalgiques simples), les parents doivent recevoir des informations précises mentionnant sur l'ordonnance : les prises systématiques pendant un temps déterminé, les consignes d'adaptation du traitement si nécessaire, et la nécessité de reconsulter si l'analgésie est insuffisante ou en cas d'effet inattendu.
Une surveillance étroite adaptée aux enfants traités par morphine est indispensable (voir § III.B.4. Morphine).

 

III. Médicaments utilisables

A. Antalgiques antinociceptifs non morphiniques (palier 1 de l'OMS)

1. Paracétamol : le 1er recours

Voie orale : paracétamol per os :

  • présentation : sirop avec pipette dose/poids pour le jeune enfant ; sachet ou dosette ou comprimé sublingual pour le petit enfant, comprimés à avaler ou effervescents chez l'enfant plus âgé ;
  • posologie : 60 mg/kg par jour en 4 prises soit 15 mg/kg par prise toutes les 6 heures, jusqu'à la dose adulte ;
  • délai d'action : 30 minutes à 1 heure ;
  • AMM : dès la période néonatale.

Voie intraveineuse : AMM dès la naissance.

Voie rectale : non recommandée (biodisponibilité faible et imprévisible).

Autres données :

  • effets indésirables rares aux doses thérapeutiques ;
  • contre-indications : insuffisance hépatocellulaire sévère, hypersensibilité au paracétamol.

 

2. AINS

L'AINS le plus étudié et utilisé chez l'enfant est l'ibuprofène.
D'autres AINS sont utilisables selon l'AMM.

Voie orale : ibuprofène per os :

  • présentation : sirop avec pipette poids, ou comprimé sublingual ou à avaler ; attention : deux dosages différents pour les sirops :
    • sirop NurofenPro® et génériques : la pipette poids délivre 10 mg/kg ;
    • sirop AdvilMed® : la pipette poids délivre 7,5 mg/kg ;
  • posologie : 30 mg/kg par jour, soit en 3 prises (10 mg/kg/8 heures) soit en 4 prises (7,5 mg/kg/6 heures), maximum 400 mg par prise ;
  • délai d'action : 30 minutes à 1 heure ;
  • AMM : âge ≥ 3 mois.

Voie intraveineuse : kétoprofène IV, utilisé en pratique même si AMM à 15 ans.

Autres données :

  • effets indésirables : en général très bien toléré ; saignement digestif exceptionnel ; autres complications exceptionnelles chez l'enfant ;
  • contre-indications : celles des AINS (ulcère, trouble de la coagulation…) ;
  • prescription non recommandée aux cours des infections suivantes (RCP 2017) : varicelle, infection ORL sévère ou compliquée, toute infection bactérienne sévère en particulier pleuropulmonaire, cutanée ou des tissus mous.

 

B. Antalgiques antinociceptifs morphiniques (paliers 2 et 3 de l'OMS)

Principes :

  • indiqués si douleur forte et/ou si l'association paracétamol et ibuprofène est insuffisante, en fonction du diagnostic ;
  • toujours associer aux antalgiques de palier 1 ;
  • ne jamais associer deux morphiniques entre eux ;
  • pour tous les morphiniques, la coprescription de benzodiazépine est susceptible d'entraîner une somnolence voire une dépression respiratoire ; c'est une association à risque surtout par voie IV ;
  • pour tous les morphiniques, le surdosage peut produire une somnolence et progressivement une dépression respiratoire ; une surveillance étroite de la sédation et de la respiration est donc nécessaire, surtout pour les formes IV.

 

1. Codéine

La codéine est transformée en morphine (en moyenne 10 %), par le cytochrome hépatique P450 CYP2D6. L'activité de cette enzyme varie en fonction des sujets, l'efficacité n'est donc pas prévisible ; on distingue ainsi des métaboliseurs lents (10 à 47 % de la population) et des métaboliseurs rapides (1 à 7 % de la population) ; chez ces derniers, les taux sanguins de morphine sont plus élevés, pouvant alors entraîner un risque toxique notamment d'insuffisance respiratoire. Un très faible nombre de cas graves voire mortels a été rapporté dans le monde.

Restrictions d'utilisation de la codéine (ANSM, 2013) :

  • sujet âgé de plus de 12 ans, seulement après échec du paracétamol et/ou AINS ;
  • jamais après amygdalectomie ou adénoïdectomie ;
  • jamais chez l'enfant âgé de moins de 12 ans ni chez la femme allaitante.

Voie orale : codéine per os :

  • comprimés toujours en association avec le paracétamol (20 mg/400 mg ou 30 mg/500 mg), sécables (âge > 12 ans) ;
  • pas de sirop.

Autres données :

  • effets indésirables : constipation, nausées, somnolence, impression de malaise ou d'ébriété, vomissements, vertiges ;
  • contre-indications : crise d'asthme en cours, insuffisance respiratoire ou hépatocellulaire ; précaution si trouble neurologique en cours ;
  • risque addictif connu.
     

2. Nalbuphine

Il s'agit d'un morphinique agoniste sur certains récepteurs morphiniques et antagoniste sur d'autres. Il est très utilisé en pédiatrie en France.

Voie intraveineuse : nalbuphine ampoule :

  • posologie : 0,2–0,3 mg/kg/4–6 heures IVL (20 minutes) ou 1,2 mg/kg par jour en IV continue ;
  • délai d'action : 10 à 20 minutes ;
  • AMM : âge ≥ 18 mois ; utilisée en pratique courante avant cet âge.

Voie rectale pouvant être utilisée en urgence en l'absence de voie d'abord, en utilisant la nalbuphine ampoule :

  • posologie : 0,4 mg/kg/4–6 heures ;
  • délai d'action : 30 minutes ;
  • AMM : âge ≥ 18 mois ; utilisable avant cet âge.

Autres données :

  • effets indésirables : somnolence, vertiges, nausées, impression de « planer » si IV rapide (à éviter) ; quasiment jamais de dépression respiratoire (c'est son intérêt) ;
  • contre-indications : hypersensibilité à la nalbuphine ; précaution si atteinte respiratoire ou neurologique évolutive ;
  • attention à l'effet plafond : la nalbuphine est inefficace pour les douleurs sévères ; inutile d'augmenter la dose, il faut passer rapidement à la morphine en titration.
     

3. Tramadol

Voie orale : tramadol per os :

  • forme buvable en gouttes : 1 goutte = 2,5 mg ; bien veiller à indiquer la prescription en mg et en nombre de gouttes pour éviter les erreurs d'administration ;
  • posologie : 1 à 2 mg/kg par prise (débuter à 1 mg/kg) ; 4 prises maximum par jour espacées d'au moins 4 heures ;
  • comprimé en association avec le paracétamol (âge ≥ 12 ans) ;
  • forme LP : 1 ou 2 prises par jour selon les formulations (âge ≥ 12 ans) ;
  • AMM : âge ≥ 3 ans.

Forme IV : pas d'AMM chez l'enfant en France.

Autres données :

  • effets indésirables : somnolence, vertiges, nausées, vomissements ;
  • contre-indications : hypersensibilité au tramadol ; précaution si atteinte respiratoire ou neurologique évolutive ;
  • risque addictif connu ;
  • attention : le tramadol a un métabolisme variable individuellement, proche de celui de la codéine : prudence lors de la première prise, surveiller la sédation et la respiration ; déconseillé si trouble respiratoire (par exemple, après amygdalectomie pour syndrome obstructif des voies aériennes supérieures).
     

4. Morphine

Principes :

  • comme chez l'adulte : pas de dose maximale, dose à adapter au niveau de douleur et aux effets indésirables en augmentant progressivement la posologie ;
  • à associer en général à paracétamol et ibuprofène.

Voie orale :

  • « libération immédiate » (LI) : buvable, gouttes (1 goutte = 1,25 mg) ou dosettes (5 ml = 10 mg utilisée en pédiatrie, il en existe des plus concentrées) ou gélule (5 ou 10 mg) :
    • posologie : débuter à 0,2 mg/kg par prise toutes les 4 heures et augmenter en fonction de l'efficacité par paliers de 30 à 50 % ;
    • interdose : administrer une nouvelle dose ou demi-dose si la douleur persiste à une heure ou réapparaît avant 4 heures ;
    • délai d'action : 30 minutes ; pic d'action : 45 minutes ; durée d'action 4 heures ;
  • « libération prolongée » (LP) : gélule à 10 ou 30 mg :
    • en relais éventuel après 24 heures de morphine à libération immédiate, si douleur stable et persistante ;
    • délai d'action : 2–4 heures ; durée d'action 12 heures ;
    • comme chez l'adulte, répartir la dose journalière de morphine orale LI en deux prises LP et associer une prescription d'interdoses de morphine LI si pic de douleur (1/6e à 1/10e de la dose journalière de morphine LP).

Voie intraveineuse : morphine ampoule (1 ml = 10 mg) :

  • en cas de douleur très sévère en urgence : dose de charge puis titration systématique (bolus répétés jusqu'au soulagement), puis mettre en route soit une perfusion continue soit une PCA, gérable par l'enfant à partir de l'âge de 6 ans (chez le nourrisson et le jeune enfant, la PCA peut être gérée par l'IDE) ; pour les posologies, se référer au protocole du service ou au site Pédiadol ;
  • délai d'action : 5 minutes ;
  • surveillance rapprochée par une équipe formée indispensable.

Autres données :

  • effets indésirables : observés surtout pour la voie IV, sauf la constipation :
    • signes d'alerte de surdosage : somnolence et bradypnée :
      • prévention : surveillance horaire (vigilance, FR, EVA) ;
      • traitement : stimulation, oxygénation, antidote (naloxone) ;
    • autres effets indésirables : constipation, prurit, nausées, rétention urinaire ; à gérer :
      • prévention systématique de la constipation : laxatif de type macrogol ;
      • prévention ou traitement des autres effets indésirables : antagonistes de la morphine à très petite dose (naloxone ou nalbuphine) ;
  • contre-indications : insuffisance respiratoire décompensée, insuffisance hépatocellulaire sévère ; précaution si trouble neurologique évolutif, si insuffisance rénale.
Connaître les modalités de prescription de ces principaux antalgiques.

 

C. Autres médicaments antalgiques

1. Antispasmodiques

  • Efficacité modeste et peu documentée, à associer à un autre antalgique.
  • Indications : douleurs viscérales.
  • Voie orale : phloroglucinol, trimébutine, tiémonium.
  • Voie injectable : phloroglucinol.

 

2. Anxiolytiques : hydroxyzine ou benzodiazépines

  • Indications : en prémédication de gestes douloureux afin de diminuer l'anxiété.
  • Voie injectable (surveillance rapprochée) ou en intrarectal ou voie orale : midazolam.

 

3. Médicaments des douleurs neuropathiques

  • Si une douleur neuropathique est suspectée, un avis spécialisé est recommandé.
  • Molécule recommandée en première intention (hors AMM actuellement) : voie orale, soit amitriptyline soit gabapentine ; introduire à dose progressivement croissante.
  • Voie locale : anesthésique topique de type lidocaïne emplâtre (Versatis®), sur la zone d'allodynie (hors AMM).

 

D. Points clés, recommandations

Les recommandations actuelles s'appuient sur les recommandations 2016 de la HAS « Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l'enfant : alternatives à la codéine » et sur les recommandations des sociétés d'experts : Pédiadol, SFETD, Académies anglaises, américaines et canadiennes de pédiatrie.

 

1. Principales données

  • L'éducation des prescripteurs, des pharmaciens et des familles sur la douleur et ses traitements est primordiale afin de garantir des conditions optimales de prise en charge.
  • Dans certaines situations, comme la traumatologie et certaines douleurs postopératoires, les AINS ont montré une efficacité supérieure aux antalgiques morphiniques.
  • En cas d'insuffisance d'efficacité du paracétamol seul ou de l'ibuprofène seul, leur association, et non leur alternance, est recommandée.
  • Si l'ibuprofène est prescrit aux posologies recommandées pour une durée courte (48 à 72 heures), les effets indésirables sont rares.
  • Les indications des paliers 2 sont restreintes ; le passage à la morphine est privilégié si l'association paracétamol-ibuprofène est insuffisante.
  • La morphine orale est recommandée dans la prise en charge des douleurs intenses ou en cas d'échec d'antalgiques moins puissants.
  • Les morphiniques (codéine, tramadol, morphine…) ne sont pas recommandés pour le traitement au long cours des douleurs chroniques non cancéreuses comme les douleurs abdominales récurrentes ou musculo-squelettiques, les céphalées et migraines.
     

2. Exemples de prescription

Une prescription ambulatoire : otite moyenne aiguë

  • Douleur modérée : paracétamol ou ibuprofène ou association des deux.
  • Douleur sévère : réévaluer, tramadol voire une prise de morphine orale si besoin ; gouttes auriculaires avec anesthésique local (contre-indication : tympan perforé).
  • Attention : la persistance de l'otalgie à 48–72 heures est un motif de réévaluation médicale (parfois recours à la paracentèse qui fait disparaître la douleur).

Une prescription aux urgences : traumatologie (fractures, entorses)

  • Douleur modérée : paracétamol ou ibuprofène ou association des deux.
  • Douleur sévère : association ibuprofène et tramadol ou association ibuprofène et morphine orale.
  • Attention : analgésier avant toute mobilisation, avant la radiographie, avant la confection du plâtre ; recourir facilement au MEOPA.

 

IV. Méthodes non médicamenteuses

Les composantes de la douleur nécessitent des réponses qui tiennent compte à la fois des aspects sensoriels, physiques, cognitifs et émotionnels.
L'activité physique adaptée, la kinésithérapie, les massages, l'électrostimulation (TENS), l'application de froid, de chaleur, de vibrations, sont souvent indiquées, surtout en traumatologie, en postopératoire, en rhumatologie, et pour les douleurs prolongées ou chroniques.
La musique, la distraction de l'attention par des moyens variés, la réalité virtuelle, l'hypno-analgésie, font partie des principales méthodes psychocorporelles auxquelles les professionnels de pédiatrie ont recours pour réduire la douleur et l'anxiété de l'enfant, avec une efficacité documentée par de nombreuses études, en particulier pour les douleurs induites par les soins. Les méthodes psychocorporelles et les psychothérapies sont recommandées pour les douleurs chroniques.

La qualité de l'analgésie pédiatrique est liée à l'aspect multimodal des interventions que l'on propose à un enfant douloureux. Ces approches corps-esprit dites intégratives répondent à une conception holistique de la médecine. Prendre soin, soulager autant que possible font partie intégrante du traitement de la maladie, dans une approche éthique centrée sur la bientraitance de l'enfant.

 

Références

Fournier-Charrière E., Marec-Berard P., Schmitt C., Delmon P., Ricard C., Rachieru P. Prise en charge des douleurs neuropathiques chez l’enfant : recommandations de bonne pratique clinique. Arch Pediatr, 2011;18:905–13.