Adénopathies

Texte

 

ITEM 220 Adénopathie superficielle de l'adulte et de l'enfant

  • Devant une ou des adénopathies superficielles, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.
     
Avant de commencer…

Les « intumescences ganglionnaires banales » sont d'une extrême fréquence en pédiatrie.
Seules les adénopathies superficielles [hypertrophie(s) pathologique(s) d'un ou de plusieurs ganglion(s) accessible(s) à la palpation et d'un diamètre ≥ 1 cm] justifient une démarche étiologique clinique et éventuellement paraclinique.

Les circonstances de découverte s'inscrivent le plus souvent dans un contexte indemne de toute sévérité. Les rares situations d'urgence sont reliées à des phénomènes compressifs causés par des adénopathies profondes, des épanchements ou d'autres localisations tumorales, ainsi qu'à la survenue de manifestations systémiques sévères.

Les causes des adénopathies superficielles, chez l'enfant, sont principalement infectieuses :
• soit locorégionales, requérant l'examen des territoires de drainage d'adénopathies localisées ;
• soit générales (avant tout d'origine virale).

La démarche diagnostique consiste à :
• analyser et argumenter, selon des données essentiellement cliniques, les principales hypothèses diagnostiques (tableau 25.1) ;
• proposer, s'il y a lieu, selon l'orientation diagnostique, des examens complémentaires pertinents.

 

Tableau 25.1. Principales étiologies des adénopathies superficielles (± profondes) chez l'enfant.
ADP infectieuses

 

Localisées
  • Adénites à pyogènes (streptocoque et staphylocoque) à partir d'un foyer infectieux de proximité
  • Tuberculose et mycobactéries atypiques
  • Pathologies d'inoculation : bartonellose (maladie des griffes du chat), tularémie, pasteurellose
Généralisées
  • Virales : principalement EBV, CMV, VIH, parvovirus B19
  • Parasitaires : toxoplasmose
  • Bactériennes : fièvre typhoïde, brucellose
ADP tumorales Hémopathies malignes
  • Leucémies (principalement aiguës) : LAL, LAM
  • Lymphome de Hodgkin, LMNH
Métastases de tumeurs solides

 

Autres causes

 

Maladies systémiques inflammatoires dysimmunitaires
  • Maladie de Kawasaki
  • Lupus, rhumatisme inflammatoire
  • Sarcoïdose, histiocytoses
  • Déficits immunitaires
Médicaments
  • Certains antiépileptiques et antibiotiques (rare)

ADP : adénopathies ; LAL : leucémie aiguë lymphoblastique ; LAM : leucémie aiguë myéloïde ; LMNH : lymphomes malins non hodgkiniens.
(D'après : Bourrillon A., Doz F., de Jaureguiberry J.-P. Rev Prat, 2015 ; 65.)

 

I. Démarche clinique initiale

A. Circonstances de découverte

1. Préambule

Les intumescences ganglionnaires banales sont d'une extrême fréquence en pédiatrie.
Les adénopathies superficielles — hypertrophie(s) pathologique(s) d'un ou plusieurs ganglion(s) accessible(s) à la palpation et d'un diamètre ≥ 1 cm — justifient toujours de la rigueur d'un examen clinique complet et du recours éventuel à des examens paracliniques.

La découverte d'adénopathies superficielles s'inscrit le plus souvent dans un contexte indemne de toute sévérité. Les situations d'urgence sont très rares (voir infra).
Dans tous les cas, le diagnostic étiologique doit répondre à une démarche d'argumentation clinique méthodique et rigoureuse.

Les signes cliniques d'alerte sont :

  • signes généraux persistants ;
  • adénopathie sus-claviculaire (ou jugulocarotidien bas situé) ;
  • caractère volumineux, dur, fixé ;
  • augmentation progressive de taille > 3 semaines.

 

2. Identification des (rares) situations d'urgence

Phénomènes compressifs

Ils sont reliés à des adénopathies profondes, des tumeurs primitives ou des atteintes des séreuses.

Masses cervicales obstructives :

  •  compression des voies aériennes supérieures ;
  • dysphagie.

Masses médiastinales :

  • compression des voies aériennes : toux prolongée, orthopnée, dyspnée initialement d'effort puis de repos ;
  • syndrome cave supérieur : céphalées, somnolence, troubles visuels, œdème facial et des paupières, dilatation des veines jugulaires et circulation veineuse collatérale thoracique, cyanose de la partie supérieure du corps ;
  • épanchement pleural et/ou péricardique.

Masses abdominopelviennes :

  • œdèmes des membres inférieurs (adénopathies rétropéritonéales) ;
  • invagination intestinale aiguë (adénopathies mésentériques) ;
  • anurie par obstacle bilatéral sur les voies urinaires.
Signes systémiques de sévérité

Ils sont avant tout reliés à la cause :

  • fièvre élevée mal tolérée, anormalement rebelle ;
  • douleurs ;
  • signes neurologiques centraux ;
  • pâleur, syndrome hémorragique, douleurs osseuses ;
  • hépatosplénomégalie.
La découverte d'adénopathies superficielles s'inscrit habituellement dans un contexte indemne de tout signe de sévérité.

 

B. Argumentation clinique

1. Anamnèse

Contexte :

  • âge de l'enfant ;
  • épisodes récents ou récurrents d'infections des voies aériennes supérieures ;
  • contact avec des animaux ;
  • exanthème fébrile ;
  • vaccination récente (BCG) ;
  • prises médicamenteuses (certains antiépileptiques et antibiotiques).

Chronologie de découverte :

  • date de survenue et délai par rapport au premier examen médical ;
  • topographie initiale et modalités évolutives (dimension, nombre, topographie), spontanées ou en réponse à diverses thérapeutiques (antibiotiques…).

Signes associés :

  • généraux : fièvre et durée, asthénie, perte d'appétit, amaigrissement ;
  • fonctionnels : douleurs pharyngées, odynophagie, douleurs abdominales, dyspnée, douleurs thoraciques, douleurs articulaires ou osseuses, prurit.

 

2. Examen physique

Examen des adénopathies

Siège :

  • localisé : un ou plusieurs ganglions dans une même aire ganglionnaire ;
  • généralisé : plusieurs aires ganglionnaires atteintes.

Caractéristiques du ou des ganglions après inspection et palpation :

  • taille ;
  • consistance (molle, élastique ou dure) ;
  • sensibilité ;
  • mobilité (adhérence aux plans superficiels ou profonds) ;
  • aspect de la peau en regard (inflammation : périadénite, fistulisation).

L'évaluation précise des régions explorées et les caractères de la ou des adénopathies examinées sont au mieux inscrits sur un schéma daté qui pourra être renouvelé.

Examen régional et général

Examen des territoires de drainage à la recherche d'une lésion infectieuse (ou tumorale) à l'origine d'adénopathies localisées :

  • cervicales (= jugulocarotidiennes, rétro-/sous-mandibulaires, mastoïdiennes, prétragiennes, parotidiennes ; occipitales et cervicales postérieures) : sphère ORL, face, cuir chevelu ;
  • axillaires : membres supérieurs et paroi thoracique ;
  • inguinales et rétrocrurales : membres inférieurs et périnée.

Les ganglions sus-claviculaires, toujours pathologiques, assurent le drainage lymphatique du médiastin et de l'étage sous-diaphragmatique et justifient d'une prise en charge spécifique.

Examen des autres organes lymphoïdes :

  • amygdales ;
  • foie ;
  • rate.

Examen somatique général à la recherche de :

  • pâleur, purpura ;
  • exanthème, énanthème ;
  • masse abdominale ;
  • syndrome compressif (voir supra) ;
  • signes neurologiques : signe de localisation, syndrome pyramidal…

 

3. Synthèse au terme du seul examen clinique

Les très rares diagnostics différentiels des adénopathies superficielles localisées peuvent être éliminés :

  • en tout territoire : neurinomes, fibromes, lipomes ;
  • en région cervicale : glandes salivaires, kyste du tractus thyréoglosse, lymphangiome kystique, kyste dermoïde, nodules thyroïdiens ;
  • en région inguinale : hernies dont hernie de l'ovaire, kystes du cordon spermatique, ectopie testiculaire.

En cas de doute clinique, une échographie des parties molles permettra de conclure à la nature ganglionnaire de la tuméfaction palpée. La démarche diagnostique étiologique s'orientera selon trois éventualités :

  • l'adénopathie est localisée et inflammatoire ;
  • l'adénopathie est localisée et non inflammatoire ;
  • les adénopathies sont disséminées.
Points forts de la démarche diagnostique : circonstances de découverte, modalités évolutives, signes associés (contexte infectieux), examen des adénopathies et des territoires de drainage, examen général (rares signes de sévérité, syndrome tumoral).

 

II. Démarche diagnostique étiologique

A. Orientation diagnostique

1. L'adénopathie est localisée et inflammatoire

Il s'agit le plus souvent d'une adénite, d'origine habituellement bactérienne, à partir d'un foyer infectieux de proximité, principalement ORL ou stomatologique, ou bien encore cutané (plaie, griffure, morsure, dermatose).
Un prélèvement bactériologique local de cette porte d'entrée infectieuse est recommandé. NFS et CRP pourront conforter l'hypothèse infectieuse et contribuer à la surveillance évolutive. Un avis ORL spécialisé est utile en cas d'adénopathie cervicale sans cause évidente. Si une ponction ganglionnaire est réalisable, elle peut permettre un examen cytologique et bactériologique, et parfois d'évacuer du pus.
En fonction du contexte, une sérologie de la maladie des griffes du chat (Bartonella henselae) ou une IDR et un test in vitro de libération de l'interféron gamma aux antigènes de M. tuberculosis peuvent être indiquées.

L'antibiothérapie initialement probabiliste doit être active sur les bactéries les plus fréquentes (avant tout streptocoque et staphylocoque, mais aussi Pasteurella et éventuellement anaérobies). Le choix antibiotique préférentiel est l'association amoxicilline + acide clavulanique (traitement éventuellement réadapté en fonction des résultats de l'examen microbiologique).
En cas d'échec de l'antibiothérapie, la biopsie-exérèse de l'adénopathie devient nécessaire et peut permettre le diagnostic beaucoup plus rare d'une infection résistante au traitement prescrit (par exemple, mycobactéries) ou celui d'un lymphome.

Parmi les lymphomes, ce sont le lymphome anaplasique à grandes cellules (LAGC) et le lymphome de Hodgkin qui peuvent se traduire par une ou des adénopathies d'allure inflammatoire. Ces hypothèses diagnostiques justifient la contre-indication de toute corticothérapie.

 

2. L'adénopathie est localisée et non inflammatoire

Situations fréquentes : pas de critère associé de gravité

Bilan paraclinique de première intention :

  • hémogramme, CRP ;
  • examens sérologiques : EBV, CMV, toxoplasmose, parvovirus B19.

Si ces examens permettent un diagnostic précis de la cause de l'adénopathie, aucun autre examen notamment cytohistologique ne sera nécessaire.
Si l'adénopathie persiste au-delà de 3 semaines sans diagnostic de certitude, le recours à une consultation en milieu spécialisé sera nécessaire pour évaluer les indications sélectives et chronologiques possibles d'un examen cytologique par ponction et/ou d'une biopsie ganglionnaire (le plus souvent pratiquée).

Situations plus rares : critère associé de gravité

Quand s'alerter ?

  • phénomènes compressifs ou signes systémiques de sévérité ;
  • ganglion sus-claviculaire (ou jugulocarotidien bas situé) ;
  • ganglion aux caractères cliniques péjoratifs : volumineux, dur, fixé ;
  • évolution prolongée de l'adénopathie sans caractère régressif (> 3 semaines) ;
  • signes généraux durables.

Le diagnostic devra alors nécessiter l'apport de données cytohistologiques.
Cette démarche est justifiée par la crainte de méconnaître un diagnostic de lymphome, de tumeurs solides ou de mycobactériose.

Avant la biopsie-exérèse ganglionnaire, les examens complémentaires sont :

  • hémogramme et frottis sanguin, CRP, VS, LDH ;
  • imagerie thoraco-abdominale et pelvienne à la recherche d'adénopathies profondes (dont l'identification justifierait d'appliquer la conduite à tenir en cas d'adénopathies disséminées, voir infra) ;
  • IDR et test in vitro de libération de l'interféron gamma aux antigènes de M. tuberculosis.

La ponction à l'aiguille fine parfois discutée ne saurait dispenser dans ce contexte de la biopsie du ganglion (hors milieux hautement spécialisés). Cette biopsie doit être effectuée dans les conditions permettant non seulement un examen histologique simple, mais aussi microbiologique et au besoin immuno-histo-chimique, cytogénétique et de biologie moléculaire.

 

3. Les adénopathies sont disséminées

Hémogramme et frottis sanguin peuvent permettre une orientation étiologique.

Syndrome mononucléosique

Les causes sont essentiellement infectieuses.

Les examens de principe sont les sérologies EBV, CMV, toxoplasmose, parvovirus B19 et selon le contexte clinique VIH-1.

L'origine est beaucoup plus rarement médicamenteuse (DRESS).

Une ou plusieurs cytopénies sanguines et/ou cellules anormales sur le frottis

Un myélogramme doit être pratiqué à la recherche d'une hémopathie maligne, principalement une leucémie aiguë (voir chapitre 27).

Hémogramme normal

En dehors de tout contexte de maladie systémique ou inflammatoire qui pourrait orienter l'enquête, la persistance des adénopathies peut conduire, en lien avec un service spécialisé, à la cytoponction à l'aiguille fine ou à la biopsie-exérèse de l'un des ganglions (recherche d'un lymphome, d'une tuberculose polyganglionnaire).

 

B. Synthèse (fig. 25.1)

 
Image
Fig. 25.1. Conduite à tenir en cas d'adénopathie(s) superficielle(s).

ADP : adénopathie ; LAGC : lymphome anaplasique à grandes cellules.

 

Les adénopathies superficielles sont rarement découvertes dans un contexte d'urgence.
Chez l'enfant, les causes sont principalement infectieuses mais l'hypothèse d'une hémopathie maligne ou d'un autre type de cancer ne doit jamais être négligée.
Au fur et à mesure de l'avancée en âge, de l'exposition à divers oncogènes (toxiques, agents infectieux), ce sont les causes néoplasiques (tumeurs solides, hémopathies lymphoïdes) qui doivent être évoquées en premier lieu chez l'adulte.
Les adénopathies disséminées, sans données d'orientation apportées par l'hémogramme et le frottis sanguin, justifient le plus souvent d'une biopsie d'exérèse, sachant que l'histologie aboutira le plus souvent au diagnostic de lymphoprolifération maligne.
Prescrire une corticothérapie sans diagnostic de certitude est une faute grave.